Prières et cris d’en bas par Marie-Noëlle Nachard
Comment découvrir la part lumineuse de chaque être humain lorsqu’elle est obscurcie par la désespérance et l’effroi qu’engendre une trop grande précarité ? Maryvonne Caillaux propose un chemin : être comme des orpailleurs. Ces chercheurs de paillettes creusent et fouillent les sables, les recueillent et les brassent pour les laver et pour en faire ressortir les ressources cachées. Son livre « Comme des orpailleurs » en 2010, utilise cette métaphore pour dire les voies qui conduisent à regarder et découvrir l’autre autrement.
Pensez-vous que nous ne sommes pas assez bien pour Dieu ?
Un jour, une femme du quart-monde lui a dit qu’elle était égoïste. – Et encore. Vous êtes chrétienne ? – Oui. Ça vous fait vivre ? – Oui. Alors pourquoi vous ne nous parlez jamais de votre foi ? Vous pensez que ce n’est pas pour nous, que nous ne sommes pas assez bien pour Dieu ? Peu importe les mots, je n’invente pas la scène. Alors, elle a commencé, elle, l’écrivaine.
La vie de Marie-Noëlle Nachard, toute tissée de misère et de souffrances, d’abandon et de trahison
Dans ce petit livre, elle abrite ces prières d’en bas. Que Maryvonne Caillaux a reçues de Marie-Noëlle Nachard, une vie toute tissée de misère et de souffrances, d’abandon et de trahison ; jugée trop fragile pour élever ses trois enfants, l’aide sociale les lui a arrachés brutalement alors qu’ils étaient tout jeunes encore. Comment le cœur d’une mère peut-il survivre à un tel déchirement ? La blessure jamais ne cicatrisera.
Ces cris jetés vers le ciel
Maryvonne Caillaux note. Attrape au hasard les mots que Marie-Noëlle Nachard lui donne, les bribes de phrases qui jaillissent comme un torrent désordonné. Elle dit qu’elle ne sait que dire, alors elle note. Parfois elle entrevoit comme des fulgurances, éclairs de lumière qui déchirent le ciel sombre. Elle note, elle recueille les mots, comme des perles enfilées sur le fil des jours, sans rien espérer d’autre que rien ne soit perdu. Ainsi ont été écrits ces textes, comme les psaumes, comme ces cris jetés vers le ciel.
La prière a ceci de commun avec la poésie qu’elle est un souffle irrépressible, une parole jaillissante, qu’elle soit chant, plainte ou cri. Ici, l’une semble prier quand l’autre qui prie semble écoutée, reconnue, entendue. Le tout premier des tout premiers commandements n’est-il pas : « Écoute ! » ? Ces poèmes sont le fruit précieux d’une amitié sociale qui tente de changer la vie commune. Parmi d’autres, voici.
“J’ai une grosse blessure dans mon cœur.
J’en souffre.
La douleur est là, vingt-quatre sur vingt-quatre.
Je ne peux plus vivre comme ça. Ma vie est amère.
Je regarde le ciel et je lui dis :
” Pourquoi tu m’abandonnes ? “
On m’a bafouée. On ne respecte pas mes droits.
Mes enfants, je ne peux les recevoir,
ni mon petit-fils : chez moi, c’est trop petit.
On me rejette parce que je suis pauvre.
Ça fait vingt-cinq ans
que je demande un logement.
Je suis fatiguée.
Ils ont un coeur de pierre
ceux qui ont rejeté ma demande.
Mais je sais, Dieu m’entendra.
Il y a une justice divine. »
Mes voisins me calomnient,
on m’accuse de toutes parts
de ne pas faire ce que je dois.
Mais toi, tu me connais,
tu sais ma douleur et ma peine,
tu sais le feu qui brûle dans mes os.
J’attends tout de toi, ô Dieu de justice.
Vers qui me tourner, qui appeler ?”
Et moi, j’ai eu l’envie d’écouter ce vieux negro spiritual Nobody knows the trouble I’ve seen et la trompette de Louis Armstrong.
Gérard Marle fc
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