Sœurs de douleur par Samuel Lieven, Roseline Hamel, Nassera Kermiche
Une amitié bouleversante
« Le 26 juillet 2016, en l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le père Jacques Hamel est assassiné à l’arme blanche par deux jeunes djihadistes alors qu’il finit de célébrer la messe. Ce crime s’ajoute à la pire série d’attentats que le pays ait connue : Charlie Hebdo, Bataclan, Nice. Dans le monde entier, c’est la stupeur. Près de dix ans plus tard, c’est une incroyable amitié que raconte ce livre. Celle qui lie Roseline Hamel, la sœur du prêtre, à Nassera Kermiche, la mère du terroriste Adel Kermiche. » Incroyable, bouleversante, impensable, miraculeuse amitié, les commentaires sont unanimes.
Gérer ensemble la douleur de sœur et de mère
Comment cette amitié a-t-elle pu naître ? Pour Nassera, l’envie de demander pardon puisque son fils mort ne peut le faire ; elle se demandait aussi ce qu’elle avait fait pour mériter cela. Quant à Roseline, après avoir à pleins poumons crié sa colère à Dieu et au monde entier, « j’ai senti que je ne tiendrai pas longtemps dans cette posture. Je me suis demandé quelle serait ma douleur si c’était moi la maman. » Neuf mois après ce drame, l’heure est venue de la première rencontre, celle qui consiste à tomber dans les bras de celle dont elles ne connaissaient que la voix. A la demande de pardon de Nassera, Roseline répond : Je ne suis pas venue pour obtenir un pardon, mais pour gérer ensemble notre douleur de sœur et de mère. Nassera découvrira le domicile-presbytère du frère, Roseline se recueillera devant la tombe du fils en glissant une prière souhaitant à Adel qu’il retrouve la paix.
Surprenant parallélisme entre Roseline Hamel, Nassera Kermiche
Le livre raconte leur vie d’avant, leurs histoires familiales parfois si proches. Dans un commentaire paru dans le Monde fin avril 2025 le journaliste Philippe Bernard souligne ce surprenant parallélisme : Roseline et Nassera sont toutes deux issues de milieu populaire, épouses de routier, mères de cinq enfants et en ayant perdu un, toutes deux ont repris des études sur le tard. La famille de Nassera, précise-t-il, déjoue les stéréotypes sur les Maghrébins, le couple est uni, les frères et sœurs comptent un informaticien, un électronicien, une directrice de centre de loisirs et une chirurgienne. La radicalisation d’Abel, si brutale, est « tellement à l’opposé de ce que nous sommes ».
Leur histoire raconte un magnifique travail humain…
Philippe Bernard ajoute : « Sous l’apparence d’une image pieuse, leur histoire raconte un magnifique travail humain… » Comment peut-il parler ainsi quand il se demande « comment deux femmes qui devraient logiquement se haïr ont-elles pu trouver la force de se parler ? » Donner un sens à sa vie quand tout explose, rester debout dans les moments de grande violence, il n’y a là aucune place à l’apparence ni à l’image pieuse. Je le cite encore : « Cela tient du miracle et de la révélation. Non pas nécessairement au sens de la foi religieuse, car les forces qui leur ont permis de se parler semblent tenir d’abord de la psychologie. » Certes, mais elles deux se disent croyantes simplement. « Je n’ai pas de haine, c’est une grâce que Dieu m’a offerte » dit Roseline ; quant à Nassera, c’est sa foi qui lui apporte la paix.
Les religions doivent apporter le pardon et la paix au monde entier
Elles n’instrumentalisent rien, elles disent seulement que les religions doivent apporter le pardon et la paix au monde entier. C’est l’amitié qui leur a ouvert un chemin de guérison, doucement, sans que rien ne s’impose. J’aime la présence silencieuse de l’archevêque de Rouen lors de leur première rencontre.
Être silencieux mais là ; cela est à la portée de tous, que l’on se réfère ou non à une religion. Philippe Bernard l’écrit avec justesse, ce livre est un impensable appel au vivre-ensemble.
Gérard Marle fc
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