“La Petite Bonne” par Bérénice Pichat
Après la sa trilogie “Les promesses des fleurs”, Bérénice Pichat nous plonge dans le contexte de la 1ère guerre mondiale
La guerre de 1914-1918 a été une boucherie. Rien que pour la France il y eut 1 391 000 morts (1 habitant sur 25) et un peu moins de 4 millions de blessés ; 40% des soldats de l’Armée française furent des invalides et 14% des blessés, soit près de 500 000, l’ont été au visage : plaies de la face, du nez, des yeux et des oreilles, fractures des maxillaires. Par rapport aux blessures de la tête, celles de la face sont d’un pronostic vital relativement bénin et le préjudice esthétique et les conséquences psycho-sociales furent énormes. Au-delà du traumatisme physique, il y a surtout un traumatisme mental. Il y a même un nom qui désigne la pathologie choc post traumatique des combats, l’Obusite ou “le choc de l’obus“.
L’effet moral sur le soldat : perte de sa personnalité, peur du rejet de sa famille mais également au sein de la société puisque ceux-ci vont en être isolés. Elle fut prise en charge par des médecins spécialistes. Les associations et la Loterie Nationale lancée en 1933 vont permettre d’aider financièrement les soldats blessés et leur réinsertion au sein de la société.
Le destin a décidé d’une torture conjugale sans fin
Dans ce livre, Bérénice Pichat nous glisse discrètement dans l’intimité d’un jeune couple aisé dont l’horizon jusqu’ici plein de promesses se trouve réduit à l’espace restreint d’un face à face silencieux entre un pianiste prometteur et désormais sans membres et une femme de devoir réduite aux soins d’un handicapé désespéré. Le destin a décidé d’une torture conjugale sans fin ! Et puis il faut bien une “petite bonne” pour les corvées domestiques, alors, va pour cette jeune femme qui semble un peu plus dégourdie que les autres.
C’est alors que se déploie une alchimie parfaite entre prose et vers libres qui croise ces destins figés dans leur malheur et dans laquelle « la petite bonne » sera le catalyseur de résurgences qui bousculent ce qui semblait à jamais établi. Le destin fatal qui les a dépouillés laisse place à des espaces vierges qu’aucun encombrement ne peut plus cacher ; espaces de reconstruction ?
Des profondeurs de la souffrance partagée se dévoile le fond des âmes
Avec délicatesse, par petites touches, le tableau décrit par Bérénice Pichat reprend couleurs. Des profondeurs de la souffrance partagée se dévoile le fond des âmes et les frontières s’estompent. Il n’y pas que la défiguration qui peut détruire ce que l’on imaginait comme une plénitude personnelle, tant physique que morale. Les regards échangés disent tant de choses dans le silence, comme ces blessures cachées au plus profond de soi et qui ne peuvent se révéler que lorsque la faiblesse et l’humilité se laissent paraître sans plus de coquetterie. Par la petite bonne – comme une pâle aurore – se lève un coin du catafalque trop tôt érigé. Lumière qui éclabousse par le don spontané, sans manières, total, de celle dont on n’attendait rien de plus que son service quotidien, poussière, service, cuisine. Dans une communion qui dépasse les mots, un autre langage surgit ; viendra-t-il à bout de la fatalité ?
Comment ne pas faire le lien avec ces inconnues que Jésus nous révèle par les Evangiles ?
Cette alchimie secrète à laquelle nous convie l’autrice Bérénice Pichat et qui reconstruit secrètement les êtres, parviendra-t-elle à se solidifier au point de renverser l’ordre établi ? Ce roman est d’une justesse incomparable en faisant de « la petite bonne » sans nom l’héroïne inconsciente qui porte le monde comme le font toutes ses semblables. Comment ne pas faire le lien avec ces inconnues que Jésus nous révèle par les Evangiles : la veuve et son obole au Temple, la syro-phénicienne, Marie-Madeleine, la samaritaine, celle qui a des pertes de sang, la femme courbée, la veuve de Naïm, la femme adultère ? Sans violence, sans esbroufe, glissons-nous dans cet autre regard si naturel, celui d’une ‘petite bonne’.
Eric Récopé, fc
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