Vivre avec l’irréparé par Isabelle Le Bourgeois
La trace de l’irréparable sur nous
L’irréparable, nous connaissons le mot, mais l’irréparé ? Pour Isabelle Le Bourgeois, l’irréparé est la trace de l’irréparable sur nous. Un accident mortel ou une agression physique créent de l’irréparable, on ne peut revenir en arrière. Quant à la trace que ces événements laissent sur nous et en nous, il devrait être possible d’en faire quelque chose, de guérir, de réparer donc, même s’il faut pour cela du temps et des professionnels et des amitiés.
Isabelle Le Bourgeois croit d’expérience que nous avons tous en nous une force de vie
Pour l’auteur de ce livre, le dernier mot n’appartient pas à la nuit, à la mort. Isabelle Le Bourgeois part de son expérience : visiteuse de prison, psychanalyste et religieuse tout à la fois ; humblement, tout au long de ce livre, elle croit d’expérience que nous avons tous en nous une force de vie, une capacité à vivre qu’il reste à déployer.
« Écouter l’autre, c’est prendre un risque »
Elle a reçu et écouté longuement Yvette, Malo, Althéa, Héloïse, elle raconte brièvement des moments de leur histoire, et manifestement ces morceaux de vie l’ont transformée. « Écouter l’autre, c’est prendre un risque » écrit-elle, parce qu’on ne sait pas où l’autre va nous emmener. L’hôpital psychiatrique pour l’une, l’entreprise, la famille et l’Église pour les autres ont fait de l’irréparable ; il faut d’abord commencer par le reconnaître, par mettre des mots sur ces maux. On lit de la colère, de l’indignation devant les propos et des comportements qui relativisent : non, ce n’est pas si grave, il ne faut pas juger trop vite, il y en a tant d’autres qui ont subi ces violences et qui n’ont rien dit ; il existe même des techniques pour enjoliver les traces ou les masquer complètement. Et puis ces discours : il faut pardonner et tourner la page, au bout de la chaîne, c’est à la victime de se justifier. « Sans reconnaissance de l’irréparable, il n’y a pas de place pour l’irréparé. » J’ai trouvé juste son approche du pardon.
Une trace de l’irréparable laissée en chacun
« C’était la guerre à la maison, et j’avais peur tout le temps ; la peur bloque tout. J’étais la petite dernière qu’on n’attendait pas et qui aurait mieux fait de ne pas naître. Je veux savoir si je suis morte ou non ? » demande Héloïse, qui poursuit « Je ne suis pas très croyante, enfin pas pratiquante, mais avec mon compagnon, je me suis mise à croire à quelque chose qui ressemble à la vie, possiblement. Mais parfois le doute revient et je repars dans mon néant qui tremble. » Nos peurs, comme traces en nous de l’irréparé. Tout n’est pas simple autour de cette réalité de nos vies qu’est l’irréparé, cette « fêlure de l’âme », trace de l’irréparable laissée en chacun ; mais nier « cette empreinte génétique » n’est pas le faire disparaître.
Les blessures restent apparentes pour signifier les cicatrices laissées par le combat de la vie contre la mort
L’auteur évoque le récit du Christ ressuscité qui, dans l’Évangile de Jean, montre ses plaies. La puissance de la résurrection ne les a pas effacées. « Son corps témoigne de l’ineffaçable, de l’irréparable. Ce qu’il a vécu ne peut être effacé, son corps est à jamais marqué des traces de l’irréparé. Les blessures restent apparentes pour signifier les cicatrices laissées par le combat de la vie contre la mort. Affirmer cela est essentiel pour moi sinon sa résurrection ressemble à un tour de passe-passe. »
La lumière succède toujours à l’ombre de la nuit. Toujours.
J’aime enfin ce temps du matin tel que l’auteur le savoure. « Tout le monde trouve-t-il normal cet ordre des choses, au point de ne jamais dire au matin sa joie, sa reconnaissance du retour de la lumière ? Cet événement quotidien faisait rêver l’enfant que j’étais, telle une promesse toujours renouvelée, jamais trahie ; une parole fiable, enfin, bien plus que celle des adultes. Enfant et plus tard, j’ai autant que faire se peut été présente à ce moment précis de la journée sans jamais me lasser. Cela a fait grandir en moi la conviction que la lumière succède toujours à l’ombre de la nuit. Toujours. Oui ce toujours-là est pour moi un point d’appui d’une force inouïe. »
Gérard Marle fc
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