Le père Anizan aumônier des forains
Aumônier des forains : un ministère du P. Anizan peu connu chez les Fils de la Charité !
Il est mentionné dans la BD du père Gaston Courtois et dans la BD de Christophe Hadevis, parue en 2018. L’article découvert dans la presse locale d’Artenay en juin 2023 par Christelle Simonetti, présidente de la Fraternité Anizan France parle d’une école qui a pris le nom d’Eugénie Bonnefois.
Une recherche dans les archives des Fils de la Charité nous fait découvrir ce portait particulier du père Anizan. Une autre recherche dans les archives de l’Eglise de France à Issy-les-Moulineaux nous fait découvrir des photos d’Eugénie Bonnefois. Le père Anizan aurait-il rencontré Eugénie Bonnefois ? Des recherches dans d’autres archives nous le diront peut-être un jour. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est Artenay qui réunit les deux noms : celui du père Anizan et celui d’Eugénie Bonnefois.
« Du moment qu’il s’agit de délaissés, c’est mon affaire »
C’est ce qu’aurait répondu le P. Anizan, quand l’archevêque de Paris, Mgr Amette, lui demanda de s’occuper à Paris des forains. Mgr Amette connaissait bien le Père ; il l’avait apprécié dans son action ; il avait soutenu et admiré le supérieur général des frères de Saint-Vincent de Paul dans ses épreuves.
Eugénie Bonnefois, fille d’un instituteur devenu forain
Une foraine, fille d’un instituteur devenu forain, Eugénie Bonnefois (1829-18 juin 1914) qui n’avait appris à écrire que vers 30 ans, qui n’avait fait sa première communion qu’à 18 ans lors d’un séjour prolongé à Liège, se préoccupait de la formation religieuse des petits forains depuis 1848. Elle les réunissait dans sa roulotte, un « panorama » au hasard des rencontres. Elle réussit, avec l’aide des jésuites, pendant une grande foire, à Amiens, à amener 63 forains de tout âge à la cathédrale pour y faire leur première communion.
Après la guerre de 1870, où elle se prodigue comme ambulancière, elle réussit à créer des centres fixes de catéchisme pour les forains de passage à Paris, Angers, Reims, Chalon, Rouen, etc., suscitant partout des bonnes volontés. Elle suit ses amis forains sur les routes, montrant son « panorama » monté par elle-même ; il faut bien vivre.
En 1887 elle persuade l’archevêque de Rouen de nommer “un curé des forains” et se préoccupe de donner elle-même des rudiments scolaires. En 1892 elle intéresse le cardinal Richard qui lui donne un aumônier : « C’est une œuvre de mission… Il faudrait, par exemple, un prêtre des missions étrangères, que sa santé retient dans les climats du pays natal, écrit-elle à l’archevêque de Paris… il serait curé des forains ».
Enfin, en 1893, au milieu d’énormes difficultés financières qui la poursuivront toujours, elle crée une école foraine dans une roulotte louée, puis dans sa propre roulotte, une école roulante qui suivra toutes les foires de la région parisienne. On y fait le catéchisme et le « curé des forains » prend contact avec les parents, les pauvres, les malades. Les difficultés financières, les persécutions ne manquent pas, mais on tient ; on fait même du ramassage scolaire quand l’école n’a pas pu s’installer dans la foire ou qu’il faut regrouper plusieurs petites foires.
Curé des forains, le père Anizan se lance dans cette aventure aux premiers mois de 1911
Il y a maintenant deux roulottes. Cela va encore durant la morte saison, car on stationne à Neuilly. Le plus souvent, il faut aller deux fois par semaine aux Invalides, à la fête aux pains d’épices à la barrière du Trône (près de la Nation), au Lion de Belfort, à Montmartre près de Pigalle, à la fête de Neuneu à Neuilly ou dans les petites foires de quartier. Dès le début le père se fait aider par M. Devuyst (le futur deuxième supérieur général des Fils de la Charité). Mais quand le P. Anizan se déplace pour visiter les communautés, préparer les congrès de l’Union, se rendre à Rome, l’abbé Devuyst le remplace provisoirement en attendant de le faire complètement, probablement dès 1913.
Jusqu’à sa mort, le Père gardera la nostalgie de ses chers forains, ignorants mais généreux et attachants ; il en parlera autour de lui : les anciens en témoignent. Si l’école disparu en 1914 avec la guerre, le P. Anizan semble bien s’être intéressé
comme curé de Clichy (à partir du 1er octobre 1916) aux « zônards » de sa paroisse, parmi lesquels se trouvaient des forains pauvres, au moins pendant
la saison morte ; une lettre de sa fin de vie semble le montrer.
Pourquoi cet attachement aux forains ?
Un député de Paris, Jean Lerolle, aimait beaucoup le Père Anizan qu’il rencontrait à « l’Union ». Il avait soutenu avec courage et personnellement Mlle Bonnefois. Depuis 1908 cette dernière, infirme et épuisée, avait été recueillie par les sœurs de Picpus. L’abbé de Bussy, l’aumônier, venait de mourir et tout naturellement on pensa à M. Anizan, le « missionnaire du peuple et des pauvres ». C’est la véritable raison.
Le P. Anizan avait « le mal du peuple » en même temps que « le mal de Dieu ». Les forains sont souvent pauvres matériellement à cette époque, surtout s’il y a eu une mauvaise foire (place écartée, mauvais temps). Ils le sont presque toujours spirituellement, ce qui leur permet d’être « des jongleurs de Notre-Dame », comme le fait remarquer le biographe de Mlle Bonnefois. Le P. Anizan a annoté une liste que lui avait fournie la mairie de Neuilly à l’occasion d’une fête foraine. Il se préoccupe de les aider matériellement. Un papier écrit au crayon parle de les intéresser à une mutuelle, de créer un petit journal, de promouvoir la solidarité chez les hommes ; un autre écrit parle de la création d’une « société anonyme de roulottes utilitaires par actions ».
Tout cela est dans la ligne de l’action du P. Anizan : s’occuper des plus pauvres matériellement et spirituellement ; leur fournir les cadres qui vont leur permettre d’échapper à leur misère : regroupement des artisans, « comité de bien » à Charonne, aide à la création des premiers syndicats ouvriers chrétiens (on parlerait aujourd’hui de structures et d’institutions et aussi… de paternalisme, mais ne soyons pas injustes : l’époque n’était pas la même) ; leur fournir des cadres de la vie matérielle, mais aussi pour la vie spirituelle : le Père Anizan se trouve à l’aise dans une paroisse de forains qui n’est plus locale, mais sociologique, pourrait-on dire, et une paroisse de pauvres.
Le plus beau témoignage que nous ayons nous est donné par le P. Anizan lui-même lorsqu’il écrit au P. Rouillaud, le supérieur de la maison de formation à Rome.
Les lettres portent sur des sujets graves et même douloureux ; pourtant l’aumônier des forains ne peut s’empêcher de parler du catéchisme chez les forains :
21 mars 1911 …
« L’archevêque de Paris et M. Lerolle père, président de l’œuvre, me pressent de prendre pour nous l’œuvre des forains de Paris. Je l’ai accepté sans avoir réglé qui s’en chargera. Peut-être pourrais-je prendre l’affaire avec M. Devuyst en mettant celui-ci en avant ».
1er avril 1911…
« J’ai commencé un petit ministère auprès des forains que l’archevêque vient de nous confier. Faites prier pour une pauvre jeune fille danseuse de corde qui se meurt de la poitrine et que je n’ai pu encore aborder tant elle est entourée par ses compagnons de cirque. La roulotte ne désemplit pas. Je fais une fois par semaine le catéchisme dans une roulotte à de pauvres enfants pleins de bonne volonté. J’ai là deux jeunes dompteurs, un de 13 ans qui ne se commet encore qu’avec des loups et son frère de 15 ans qui travaille déjà avec une lionne, ce dont il est assez fier. Priez pour cette pauvre population. Je fais le catéchisme au son des orgues et du reste… »
Fin avril (?) 1911…
« Je vous recommande aussi mes petits forains que je catéchise en ce moment. Je dis forains, il faut ajouter foraines, car je vois les deux. J’ai un pauvre garçon de 11 ans qui va faire ses débuts de dompteur dimanche prochain avec une hyène. Ces pauvres enfants me donnent des preuves de bonne volonté extraordinaire ».
Quinze ans plus tard, une lettre de l’abbé Pierre Gerlier qui, comme président de l’ACJF, a lui aussi très bien connu le P. Anizan et qui deviendra le cardinal archevêque de Lyon : l’abbé Gerlier lui transmet des documents, car le P. Anizan vient d’accepter, pour sa nouvelle congrégation des Fils de la Charité, la responsabilité de l’aumônerie des forains, service qu’ils continuent d’assurer aujourd’hui encore dans la région parisienne.
Jean Viennot, fc
Nous avons voulu reproduire cet article dans le chantiers de juin 2024, écrit par Jean Viennot, Fils de la Charité, dans un des premiers numéros de Chantiers, il y a plus de 50 ans.
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