Le mage du Kremlin par Giuliano da Empoli
Une véritable histoire russe
« Ce roman est inspiré de faits et de personnages réels à qui l’auteur a prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s’agit néanmoins d’une véritable histoire russe ». Giuliano da Empoli nous introduit dans la tête d’un certain Vadim Baranov, de son vrai nom, Vladislav Sourkov, homme de théâtre envoûtant, et qui perçoit son travail de conseiller de Poutine comme une activité artistique, romanesque.
Ici, le pouvoir écrase tout
Ce livre projette une figure de Vladimir Poutine, sa solitude absolue, sa nature même d’homme de pouvoir. Parlant de son livre, Giuliano da Empoli précise que si les mécanismes et les dynamiques, les pulsions du pouvoir sont les mêmes sous toutes les latitudes et de toutes les époques, de par son histoire la Russie est un endroit où l’on met peu de limites aux pulsions du pouvoir ; ici, le pouvoir écrase tout. C’est une histoire russe pétrie par l’idéologie totalitaire héritée de Lénine.
Poutine sera celui qui rendra sa fierté au peuple russe, sa dignité perdue
Ce conseiller particulier de Poutine, dont il finira par s’éloigner après des années de loyaux services, n’est pas en admiration de son maître, il est juste russe. L’effondrement de l’URSS a tout balayé, et Poutine sera celui qui rendra sa fierté au peuple russe, sa dignité perdue. « Dans toute notre histoire, nos souverains ont toujours été traités comme des grands de ce monde et personne n’a jamais pu faire valoir une supériorité sur eux. » Contrairement à l’Occident qui débat et recherche le compromis et la sécurité, les Russes ont besoin de montrer à nouveau leur puissance, à défaut, de faire croire à cette puissance, et pour ce faire, « le chaos est notre ami, notre seule possibilité ».
« La politique a un seul but : répondre aux terreurs de l’homme. C’est pourquoi au moment où l’État n’est plus capable de protéger les citoyens de la peur, le fondement même de son existence est remis en discussion. La verticale du pouvoir est la seule réponse satisfaisante, l’unique capable de calmer l’angoisse de l’homme, exposé à la férocité du monde. Voilà pourquoi, après les bombes, son rétablissement est devenu plus que jamais la priorité du Tsar. »
Giuliano da Empoli nous plonge au cœur du pouvoir russe
Ce livre brillant, glaçant parfois, d’une grande force littéraire, ne nous lâche pas facilement. Il nous plonge au cœur du pouvoir russe incarné par Vladimir Poutine, « Tsar » qui s’enivre de lui-même, qui veut survivre à tout le monde et finit par tuer tout le monde ; toujours plus solitaire, avec à la fin un labrador pour seul conseiller. Sourkov, lui, paraît convenable, à la limite sympathique ; nous aimerions prolonger avec lui le récit de sa vie au Kremlin et ses méditations sur le pouvoir en partageant le café et les petits gâteaux.
Ce livre est un roman
J’ai donc lu ce livre, je l’ai lu en deux jours, tant il m’accrochait. Puis j’ai repris la lecture, arrêtée, d’un livre rassemblant des écrits de douze historiens d’origines et de parcours différents, livre paru en novembre 2022 sous le titre « Le livre noir de Vladimir Poutine ». Et là, plus question de petits fours : Vladislav Sourkov fut le conseiller écouté d’un chef d’État qui massacre, affame des populations qui ne l’ont en rien sollicité, et fait effectivement régner le chaos partout sur notre planète. Les romanciers écrivent des romans et ce livre est un roman ; on pouvait attendre une note en bas de page, pour que ne soient pas oubliées les victimes qui se comptent par millions.
Quant à la politique de la force et de la brutalité comme seule réponse à la peur et à l’angoisse des hommes, quelque chose me dit que les Évangiles ouvrent un autre chemin que cette fatalité de la terreur. Dès sa naissance du côté des victimes, le Christ aura passé sa vie à faire le bien (Actes 10).
Gérard Marle, fc
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