« Immigration : le grand déni » par François Héran
Les chercheurs qui parcourent le terrain et fouillent les données ne se bercent pas d’illusions
La dernière page de ce livre de François Héran est à apprendre par cœur. Aujourd’hui professeur au Collège de France, hier à la direction de l’Institut national d’études démographiques (INED), philosophe, anthropologue et statisticien, François Héran coche à toutes les cases. « En matière de migrations (comme en d’autres domaines), les chercheurs professionnels ont souvent une approche plus réaliste que les politiques, parce qu’au lieu de répercuter sans recul les doléances brutes des citoyens, ils s’astreignent à mener des observations prolongées sur le terrain, à réunir des témoignages, à brasser des archives, à construire de vastes enquêtes représentatives ou à dresser des bilans comparatifs. Les chercheurs qui parcourent le terrain et fouillent les données ne se bercent pas d’illusions. C’est ce qui fait sans doute que la classe politique les écoute si peu. » Ceux et celles qui suivent la question depuis vingt ans et plus savent qui racontent toujours la même chose et qui mesurent les évolutions dans le temps et dans l’espace.
« Je fais partie des chercheurs qui pensent que l’estimation – enquête INED-INSEE 2022 – de 7 millions d’immigrés vivant en France doit être majorée au moins d’un million de personnes (les sans-papiers, jeunes arrivés enfants et qui se croient Français…) Au total, « il est raisonnable de penser que les immigrés représentent 11 à 12 % de la population de la France. […] La tendance générale est bien celle d’une progression continue de la population immigrée en France depuis l’an 2000 et ce, quelles que soient les majorités politiques, de droite ou de gauche ».
Le mythe bien loin de la réalité, selon François Héran
Et il en est de même partout dans le monde. « Il faut dégonfler le mythe d’une France trop attractive en matière d’asile […] Quand on regroupe les demandes de protection présentées de 2014 à 2022 par les ressortissants des trois pays réunis – Syrie, Irak, Afghanistan – le bilan est maigre pour la France : 106 000 demandes traitées, soit 4,5 % seulement des 2,33 millions déposés dans l’Union européenne. Si la France avait réellement pris sa part de l’accueil des Ukrainiens en Europe, elle aurait dû accorder une protection temporaire à 450 000 Ukrainiens et non pas 100.000 ».
François Héran décrit un renouvellement et non pas un remplacement
On ne peut oublier les 25 390 morts recensés dans la seule Méditerranée de 2014 à 2022 ; les États peuvent-ils se laver de toute responsabilité ? Nouveauté dans cette enquête de François Héran : « On sait maintenant que près d’un tiers des adultes de 18 à 60 ans, 31 % exactement, comptent au moins un parent ou une grand-parent immigré. Or ce résultat va de pair avec un autre résultat, plus fondamental encore : 5 % seulement des adultes de 16 à 60 ans ont quatre grands-parents immigrés. » Ce qui signifie beaucoup de mélanges, de mariages mixtes, de brassage ; nous assistons à un renouvellement et non à un remplacement ; l’identité d’un pays s’est toujours élargie dans le passé et continuera de le faire. Évidemment, tout cela ne se fait pas sans heurts, ni difficultés. Mais qui va mettre en cause la « francité » de Kylian Mbappé et de Gérald Darmanin ?
Une 22ème loi sur l’immigration en débat en 2023
En 2023, le Parlement débattra autour de la 22e loi sur l’immigration depuis 1986, soit une loi tous les 18 mois ! Cette inflation législative donne le sentiment que nous bricolons sans cesse. Évidemment, il faut des règles, tenir compte des droits fondamentaux des personnes, mais aussi du rôle des États pour les garantir. « Nos gouvernants ne redoutent qu’une chose : braquer l’électorat. Il leur incombe pourtant de porter sur ce sujet un discours fort, réaliste, visant le long terme et qui soit aussi pédagogique que possible. » A chacun, il revient de porter sur les immigrés un regard ajusté à la réalité.
Gérard Marle fc
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