Chômage, interview exclusive Louis Gallois
Extrait de la lettre du Comité Chrétien de Solidarité avec le Chômages et les précaires (CCSC), mai 2015, n°100
On ne présente pas monsieur Louis Gallois, on se souvient seulement qu’il fut nommé à la tête de la SNCF en 1996 puis coprésident d’EADS et PDG de la branche civile Airbus en 2006. Il est aujourd’hui président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, et de la FNARS depuis 2012. Nous le remercions de nous avoir consacré du temps pour cette interview le 7 avril 2015.
Le chômage. Est-ce la faute à la mondialisation de l’économie? A notre préférence au chômage? A l’échec des divers dispositifs monsieur Louis Gallois ?
Est-ce que la mondialisation est responsable du chômage ? Je ne le pense pas. Parce qu’il y a des pays où il n’y a pas de chômage et qui sont aussi mondialisés que nous. Deuxièmement, parce que ce serait nous dédouaner des causes du chômage : il faut les chercher chez nous, elles sont dues pour partie à deux aspects liés : d’une part, on n’a pas fait les efforts qui permettent à l’économie française d’être compétitive et de se défendre, de vendre à l’étranger et de vendre en France des produits qui sont importés de l’étranger. D’autre part, nous avons développé une accoutumance au chômage. Je constate, pour le regretter, que dans l’arbitrage entre les salaires et l’emploi, il y a un accord entre les partenaires sociaux pour préférer les salaires à l’emploi. Les accords dits « compétitivité-emploi » n’ont qu’un succès limité : ils avaient un objectif ambitieux, la sauvegarde d’un maximum d’emplois contre une modération salariale et, parfois, des efforts de productivité. Certains dispositifs ont été sous-utilisés : le chômage partiel n’a pas connu la même ampleur qu’en Allemagne où il a permis de maintenir l’emploi. La France a souvent préféré le licenciement ; des emplois ont été perdus.
L’effort de formation professionnelle est lui-même insuffisant ; d’où une inadaptation de l’offre à la demande d’emploi. On constate que les chômeurs bénéficient très peu de la formation professionnelle, parce que là aussi, quand on négocie sur cette question entre patrons d’entreprise et syndicats de salariés, il n’y a pas de représentants directs des chômeurs. Même si les syndicats estiment les représenter, ils sont d’abord les représentants de ceux qui les élisent. Le patronat est dans la même logique : comme il hésite à embaucher, pour différentes raisons (incertitude économique, contexte politique, code du travail…), il préfère donner un peu plus de salaire et ne pas avoir à embaucher.
“Tout cela mis ensemble, la France s’habitue à avoir 10% de chômeurs”
“Tout cela mis ensemble, la France s’habitue à avoir 10% de chômeurs”. Or c’est une situation extrêmement pernicieuse pour le corps social français : tout le monde a un chômeur dans la famille, tout le monde a peur du chômage et cela mine le pays.
Tout le monde est concerné et personne ne bouge ?
Louis Gallois : Avec le collectif Alerte, nous avons demandé qu’il y ait une mobilisation nationale pour les chômeurs de longue durée. Ce sont des gens qui perdent le contact avec l’emploi, l’estime de soi, qui perdent leur qualification, et on sait très bien que s’il y a une reprise, ce ne sont pas eux que l’on embauchera en premier.
“S’il n’y a pas de mobilisation nationale on ne va pas y arriver. »
Il faut faire quelque chose de spécifique pour les CLD. Le Chômage de Longue Durée, c’est le risque de glissade vers l’exclusion. On commence par ne plus pouvoir payer son loyer, ou les études de ses enfants, qui souffrent du chômage de leurs parents, on se soigne moins bien, à la fin, on renonce à se battre, avec de profondes souffrances psychologiques.
A la suite de la Conférence sociale de l’an dernier, un certain nombre de mesures ont été prises par l’Etat. Une feuille de route pour les CLD a été annoncée : de l’argent pour la formation professionnelle (230 millions d’euros), des contrats aidés, le contrat « nouvelle chance » qui est en fait un contrat de professionnalisation [Il s’agit d’un contrat de travail conclu entre un employeur et un salarié. Son objectif est l’insertion ou le retour à l’emploi des jeunes et des adultes par l’acquisition d’une qualification professionnelle] pour les chômeurs ; c’est positif mais il faut aller plus loin.
Nous avons demandé qu’il y ait un Accord National Interprofessionnel pour mobiliser les acteurs sociaux sur le CLD. Nous avons l’appui de certains syndicats, de la CFDT en particulier ; la CGT a hésité, et finalement accepté cette idée. Le patronat était divisé, entre les « pourquoi pas ? » et ceux qui ont peur qu’on leur impose de nouvelles contraintes. Or il faut que les entreprises soient mobilisées, que les salariés acceptent qu’une partie de la formation professionnelle aille aux CLD ; en fait, que les partenaires sociaux acceptent de faire de la place aux CLD dans les entreprises. Actuellement, 2 millions de personnes sont chômeurs depuis plus d’un an et 1,1 million depuis plus de deux ans. On ne peut pas en rester là.
Faut-il imaginer d’autres partenariats ?
Louis Gallois : S ’il n’y a pas de mobilisation nationale, on ne va pas y arriver, d’autant plus, on le sait que les CLD ne sont pas toujours faciles à insérer dans l’entreprise. Nous proposons que les associations les accompagnent, eux et l’entreprise. A la FNARS [Fédération Nationale des Associations d’accueil et de Réinsertion Sociale qui regroupe 870 associations de solidarité et organismes qui vont vers et accueillent les plus démunis], nous fédérons beaucoup de chantiers d’insertion par l’économique, mais nous voyons qu’il y a un plafond de verre, les gens n’arrivent pas à entrer dans une entreprise « normale ». Il n’y a qu’un seul moyen : un accompagnement renforcé du chômeur en insertion et de l’entreprise qui l’accueille. Les structures de l’insertion connaissent ces publics et sont bien placées pour assurer cet accompagnement mais elles doivent être financées pour cela.
Il faut donc un relais, qui ne peut être que politique ?
Louis Gallois : Evidemment. Mais aujourd’hui je suis préoccupé par cette campagne contre « l’assistanat ». Campagne pernicieuse et blessante. Cela revient à considérer que les pauvres sont pauvres parce qu’ils le veulent bien, ou qu’en fait ils se laissent vivre !
“Je suis préoccupé par cette campagne contre « l’assistanat »”.
On cherche par là à remettre en cause notre système de protection sociale. A la FNARS nous sommes en contact avec des populations qui n’ont pas demandé à être pauvres ; 25 % des personnes accueillies dans les centres d’hébergement sont des 18-25 ans ! De plus en plus de travailleurs pauvres ne peuvent plus se loger. Bien sûr, il y a toujours des fraudeurs, qui perçoivent des allocations auxquelles ils n’ont pas droit, cela représente 1 à 2 milliards d’euros au maximum ; ce n’est pas négligeable mais, en face, ce sont 7 milliards d’euros auxquels cette population aurait droit et qui ne sont pas distribués parce que ces personnes ne le demandent pas ; c’est le problème du non recours ! Et qu’est cette fraude par rapport à la fraude fiscale (60 à 80 milliards d’euros) ou à la fraude au travail au noir (de l’ordre de 20 milliards) ?
“Il faut de la croissance”
Il faut cependant revenir à une chose : il faut de la croissance pour créer des emplois. On ne trouvera pas chez moi la théorie de la non croissance. Il faut au moins 1,5% de croissance, pour recréer des emplois de manière significative.
Qui dit croissance dit croissance des inégalités des richesses ̶ Thomas Piketty ̶ et de travail ̶ Dominique Méda
Louis Gallois : Moi je constate que les principales inégalités croissent en période de non croissance. Elles se sont accrues en Europe en période de croissance faible. Du fait de la crise, certes la proportion de pauvres ne s’est pas accrue en France mais les pauvres sont devenus plus pauvres. Et, on le sait, dans le monde, les riches sont devenus plus riches. Quelle est la principale réforme à faire pour que cela change ? Concernant le code du travail, il y a des aménagements, mais en période de chômage, comment expliquer qu’il faut faciliter les licenciements ? Quand on licencie quelqu’un, on le prive de son travail, c’est une décision lourde. Il faut d’abord améliorer et accélérer le fonctionnement des Prudhommes, limiter l’incertitude juridique ; il faut que les textes soient clairs, simples, applicables. Mais je ne pense pas que l’on réglera le problème de l’embauche en facilitant les licenciements. Il y a déjà un grand nombre de ruptures conventionnelles de contrat par an. Surtout 84% des embauches se font en CDD, et sur ces embauches, pour 70% d’entre elles, il s’agit de contrats de moins d’un mois !
“Je crois plus à la voie des accords « compétitivité-emploi »”
Je crois plus à la voie des accords « compétitivité-emploi » même dans les entreprises qui vont bien parce que c’est efficace et que c’est le signe d’une maturité du dialogue social. Si je regarde PSA, une entreprise qui a connu de très graves difficultés en 2012, il y a eu un accord dans lequel les personnels acceptaient des contraintes sur les salaires, acceptaient des réductions d’emplois, mais dans des formes bien précises et qui ne soient pas des licenciements secs ; et en retour l’entreprise s’engageait à produire 1 million de voitures en France en 2016, chaque site recevant un nouveau modèle pérennisant ainsi son existence. Cela a du sens. Cela a contribué à la reconstruction de l’entreprise ; cela a préservé de l’emploi en interne ; et cela a permis de créer de la confiance. Il faut le faire dans les entreprises qui vont mal mais aussi – pourquoi pas ? – dans celles qui vont bien. Il s’agit d’une vision dynamique ; il s’agit d’un dialogue social beaucoup plus riche que le seul débat salaire/ emploi. La voie d’un contrat de travail unique ? Les syndicats le veulent aussi protecteur que possible, et le patronat, aussi souple que possible. Il faudra trouver un équilibre, un contrat unique qui soit souple au début et se durcisse avec le temps. Cela mérite d’être étudié. Ce serait un test de la qualité du dialogue social !
Qui est prêt à ce dialogue social ?
Louis Gallois : On n’a pas réussi à trouver un accord sur le dialogue social, c’est très regrettable. L’Etat a repris la main mais il ne pourra pas aller aussi loin qu’un accord entre les partenaires sociaux.
Que dire de l’Economie Sociale et Solidaire ?
Louis Gallois : Pour faire face au chômage de longue durée, j’ai évoqué différents dispositifs présents dans le cadre de la « feuille de route » de François Rebsamen mais il y a aussi le rôle des associations. Elles ont des idées pour créer de l’emploi, elles rapprochent les demandeurs d’emploi et les offreurs d’emplois. Il faut compter sur L’ESS ; elle a des capacités d’embauche et de préparation à l’embauche à travers l’insertion par l’activité économique ; elle a surtout une vraie capacité d’innovation au service de l’emploi.
Si nous comparons notre situation française avec celle de nos voisins européens, comment comprendre les écarts ?
Louis Gallois : Ne soyons pas trop négatifs ! S’il y a de plus en plus de pauvres en Europe, leur progression en France est moindre ; nous avons un système de protection sociale performant. Il y a moins de chômage en Allemagne et en Angleterre mais dans ces pays, le temps partiel est beaucoup plus développé que chez nous, et on sous -paye des centaines de milliers de salariés qui doivent aller chercher un complément de ressources auprès des services sociaux. Je ne peux pas me résoudre à ce bradage de la valeur du travail. Le travail doit permettre de vivre. On ne peut pas vivre avec 4 € de l’heure en Europe.
“On ne peut pas vivre avec 4 euros de l’heure en Europe”.
Aux Etats-Unis, il y a beaucoup de petits boulots pour des gens peu diplômés, que nous avons supprimés par l’automatisation à outrance. Ce n’est pas exact. La France a moins automatisé que l’Allemagne, et les emplois créés dans ce pays le sont dans les services. On compte 31 000 robots en France, 65 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. De toute façon, le fond de l’affaire pour créer de l’emploi durable c’est qu’il faut créer de l’activité. De la croissance.
“Expérimenter le « Zéro chômage » sur un petit territoire.”
Dans ces espaces où il n’y a rien, des besoins existent qui ne sont pas satisfaits. Que penser du projet d’ATD Quart Monde “Zéro chômage “? On commencerait l’expérience sur un petit territoire.
Louis Gallois : L ’idée d’ATD Quart Monde est une idée forte. A la FNARS, nous proposons la médiation sociale ; nous mettons en face l’offre et la demande d’emploi. Il faut expérimenter ces dispositifs. Le ministre du travail a dit qu’il allait soutenir ces expérimentations. Il faut de l’argent, pour payer les gens qui doivent encadrer.
“Il y a très peu de gens inemployables”.
Il y a très très des personnes inemployables. Beaucoup moins qu’on ne le dit. Avec un accompagnement, une formation, quand on prépare les parcours de retour à l’emploi, on voit les gens devenir tout à fait employables. Mais les parcours ne peuvent être normalisés. Il y a des parcours différents selon les personnes ; il n’y a pour les accompagner que le tissu associatif ou les CCAS, parce qu’ils sont au contact des personnes. Pôle Emploi ne peut pas seul accomplir cette tâche d’accompagnement individuel vers le retour à l’emploi.
Les associations doivent vivre, souvent sans subvention
Louis Gallois : Il y a les financements publics, (de plus en plus souvent, sur projet). C’est le financement normal de ce qui est en fait, un service public et il y a le financement dit « caritatif ». Je m’y suis, progressivement « apprivoisé » même si je le juge ambigu. Faire un chèque c’est un geste « fiscal » qui souvent soulage la conscience, mais il établit aussi un lien de solidarité. Il ne doit, en tout cas, pas être un argument pour baisser les financements publics. Je ne dis pas la même chose du bénévolat associatif, il s’agit là d’un véritable investissement, d’un véritable engagement qui relie les plus précaires et la société civile.
Propos recueillis par Jean-Pierre Pascual, Dominique Bourgouin et Gérard Marle fc du Comité Chrétien de Solidarité avec le Chômages et les précaires (CCSC)
0 commentaires