Vers une nouvelle loi sur l’immigration
Cette année encore, une loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » sera débattue au Parlement : la vingt-deuxième loi sur l’immigration depuis 1986, soit une loi tous les dix-huit mois. Un record !
La situation des travailleurs irréguliers est intenable
L’inflation législative donne le sentiment qu’en la matière les gouvernements successifs bricolent des réponses aux difficultés immédiates. Pour la première fois, le ministre de l’Intérieur accompagné du ministre du Travail, au cours d’une conférence de presse, reconnait que la situation des travailleurs irréguliers est intenable : ils paient des impôts, donnent satisfaction à l’employeur mais peuvent recevoir à tout moment une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pour la première fois, des ministres soulignent le fait qu’on peut retomber dans l’irrégularité « par incurie de l’État », désignant par-là la réduction des effectifs des préfectures depuis dix ans (14 %), des files d’attente à n’en plus finir, l’incapacité de répondre dans les délais aux demandes de titre de séjour.
Répondre à des dysfonctionnements
Selon François Héran, ce projet actuel est utile sur certains points, simplifiant les démarches, encadrant de façon plus rationnelle les régularisations qui s’imposent. Quand un jeune sans-papiers a décroché un diplôme et trouvé un emploi chez un artisan boulanger, quand l’employeur et la clientèle sont satisfaits, quel sens y a-t-il à le renvoyer ? A moins que les gouvernants veuillent maintenir un « stock » de sans papiers parce que l’économie française a besoin d’une main d’œuvre corvéable à merci, surtout dans les métiers dits « en tension » que sont le bâtiment, l’hôtellerie et la restauration par exemple. Dans les faits, chaque préfecture bricole des réponses, pas toutes de la même façon. La nouvelle loi devrait donc proposer quelques règles acceptables et leur donner force de loi. Par contre, mettre comme condition une bonne connaissance de la langue française semble curieux, c’est réserver les titres de séjour à « nos anciennes colonies » ; il faut du temps pour apprendre, pour s’intégrer, il est curieux d’en faire un préalable. Il faut aussi donner un minimum de stabilité à celles et ceux qui travaillent et vivent en France avec un titre de séjour, faire mieux encore que ce que proposait la circulaire Valls (novembre 2012). Allons-nous pour autant attirer tous les migrants du monde ?
Contrairement à un mythe tenace, la France n’est pas très attractive malgré l’aide médicale et diverses allocations mises en avant. La meilleure preuve en est que les citoyens de l’Union, qui peuvent s’installer librement dans un autre pays, ne se ruent pas chez nous. Ils préfèrent l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche. Quand nos dirigeants répètent que chaque pays doit prendre sa part de l’accueil, la France ne prend pas la part qui lui reviendrait : elle réunit 15 % de la population européenne et 18 % de son PIB (sa richesse), et elle ne reçoit que 7 à 8 % au mieux de ses ressortissants ? ; c’est 3 ou 4 fois moins que l’Allemagne.
Référence
Est immigrée toute personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. J’ai puisé pour l’essentiel ma documentation dans le livre de François Héran : « Immigration, le grand déni » de mars 2023, l’interview qu’il a donnée à L’Obs fin février 2023, et la présentation de l’enquête INSEE-INED par Le Monde le 2 avril 2023.
Sortir des idées toutes reçues
Le ministre sait que l’immigration est un phénomène normal et qu’il faut faire avec. Le 30 mars 2023, l’INSEE et l’INED ont présenté le résultat de leur enquête intitulée « Immigrés et descendants d’immigrés en France ». Il en ressort que sept millions d’immigrés résident en France, soit 10,3 % de la population qui elle, se monte à soixante-sept millions. Dans son livre « Immigration : le grand déni » publié en mars 2023, François Héran, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire Migrations et sociétés, parle de huit millions au moins pour un pourcentage de 11 à 12 %. Contre 6,5 % en 1968 et 8,6 % en 2011. Précisons que cette progression de la présence d’immigrés en France ne s’est jamais démentie quelles que soient les majorités politiques, de droite ou de gauche.
Mais peut-on oublier les 25 390 morts recensés dans la seule Méditerranée de 2014 à 2022 ? Les États peuvent-ils se laver de toute responsabilité ?
Certes, l’immigration doit être régulée et on peut ne pas prôner la liberté complète de circulation. Mais entre l’abolition des frontières et le tout répressif jusqu’à la fermeture de ces frontières sous le prétexte qu’il y a un seuil au-delà duquel les équilibres du pays sont en danger, il y a de la marge ! Lorsqu’à la fin des années 1930, le pourcentage d’immigrés était deux fois moindre, on parlait déjà de saturation. Or d’autres immigrés sont venus et ce ne fut pas catastrophique pour le pays d’accueil.
Cette vingt-deuxième loi peut apporter des réponses heureuses. Mais nous attendons davantage de nos politiques. Je partage, une fois encore, l’opinion de François Héran : « Nos gouvernants ne redoutent qu’une chose : braquer l’électorat. Il leur incombe pourtant de porter sur ce sujet un discours fort, réaliste, visant le long terme et qui soit aussi pédagogique que possible.
Gérard Marle fc
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