Les Fils de la Charité au Canada : la première décennie (1950-1959)
À l’après-guerre, les Fils de la Charité ont eu la volonté d’élargir les frontières de l’Institut. Parmi les différentes missions qui virent le jour, plusieurs Fils ont suivi l’exemple du fondateur lui-même en partant au Canada. Supérieur des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, le père Anizan se rendit au Canada en 1908 ; la congrégation, sollicitée par des paroisses locales, posait alors les premiers jalons d’une fondation canadienne et envisageait une éventuelle expansion aux États-Unis. Plus de quarante ans après le voyage du père Anizan, les Fils prirent l’audacieuse initiative de se lancer dans une mission canadienne.
Les jalons d’une fondation spontanée
En 1947, le père André Monnier, supérieur général de la congrégation depuis quatre ans, souhaite élargir ses frontières de l’Institut. L’idée d’une fondation au Canada émerge mais ne se concrétise pas. La première fondation étrangère est lancée en 1948 au Maroc avec l’envoi de premiers Fils hors du territoire français. En 1950, le projet d’une mission au Canada est de nouveau évoqué puis approuvé à l’unanimité par le Conseil général, qui prévoit une fondation l’année suivante. Néanmoins, ce projet repose sur des bases très fragiles : les Fils de la Charité n’ont pas été appelés par un évêque et ils ne disposaient pas d’appuis ni de contacts locaux.
Le père Monnier, déterminé à lancer la mission, entreprend comme le père Anizan de se rendre au Canada. Il est accompagné du père Georges Briand. Ce dernier, né en 1912 à Saint-Pierre-et-Miquelon, a fait sa profession religieuse chez les Fils de la Charité en 1938. La guerre le bloque au Canada où il achève ses études et son séminaire, puis il est ordonné prêtre. Sa participation à la fondation canadienne est un véritable atout pour la congrégation.
Le père André Monnier et le père Georges Briand (vers 1950, archives des Fils de la Charité, n°2625)
Malgré le zèle des Fils de la Charité, Monseigneur Langlois, évêque auxiliaire de Québec, qui connaît la congrégation, n’a rien à leur confier. Plusieurs personnes leur conseillent de se rendre auprès de Monseigneur Forget, évêque de Saint-Jean. Ce dernier est disposé à confier des paroisses aux Fils, qui plus est correspondant à leur terrain d’action : elles se situent dans des zones très pauvres et ouvrières, et qui manquent de prêtres. Les Fils ne disposent que de quelques semaines pour s’y installer ; malgré les doutes, après une visite, le père Monnier prend la décision d’accepter, et donne un premier coup de pelle symbolique sur le chantier d’une nouvelle chapelle.
Premier coup de pelle donné par le père Monnier pour la construction de la chapelle de Croydon (1950, archives des Fils de la Charité, n°388)
Des prêtres pas comme les autres
En 1951, le supérieur envoie des lettres aux communautés locales pour recruter des volontaires. Ce sont près de vingt Fils qui se portent candidats en deux mois. Le père Michel Goison est nommé supérieur de la mission.
Les Fils se voient confier plusieurs paroisses à Montréal, Brossard et Croydon, particulièrement pauvres et où les conditions de vie sont difficiles pour la population. Les Fils doivent s’habituer à ces nouvelles paroisses outre-Atlantique et notamment au climat très rude. Très vite, ces prêtres français d’un genre nouveau suscitent étonnement voire méfiance de la part de la population. Loin des standards des prêtres locaux, les Fils sortaient du presbytère pour être auprès de la population, notamment pour visiter et aider les pauvres. Les habitants ont été sensibles à la proximité des Fils avec eux ainsi qu’à leur style de vie simple et pauvre ; en quelques années, les Fils devinrent très appréciés et estimés.
Église de la paroisse Saint-Thomas de Villeneuve à Croydon (vers 1950-1955, archives des Fils de la Charité, n°2625)
Église et sacristie de la paroisse Notre-Dame du Sacré-Cœur (1952, archives des Fils de la Charité, n°2526)
En 1953, le père Goison narrait que l’église Notre-Dame du Sacré-Cœur, auparavant à moitié vide pour la messe, était désormais tellement fréquentée qu’il fallait refuser du monde. À l’église, les Fils ont introduit des nouveautés dans la liturgie – comme l’usage du français – tout en s’adaptant aux spécificités canadiennes. Le renouveau liturgique amorcé en France n’était pas encore arrivé au Canada, qui conservait une liturgie traditionnelle. Ces nouveautés ont suscité des réactions parfois vives de la part de paroissiens et d’autres religieux, au risque de mécontenter la hiérarchie.
Les Fils pendant l’hiver 1955-1956 (1955-1956, archives des Fils de la Charité, n°2526)
Des nouveaux Fils
De nouveaux Fils arrivent dès 1953 pour renforcer les rangs et remplacer les premiers départs. Le père Briand quitte Croydon et rentre en France en 1952, et le père Goison rentre en France en 1955 consécutivement à son élection comme supérieur général. Entre 1953 et 1958, dix Fils arrivent au Canada, comme Jean Naert, Frédy Kunz ou encore André Monnier ; ce dernier, son mandat de supérieur général achevé, revint au Canada et pris la direction des Fils au Québec.
Les Fils en novembre 1954, lors de la venue du père Monnier (1954, archives des Fils de la Charité, n°2526)
En 1955, une nouvelle paroisse est confiée aux Fils par le diocèse, la paroisse de Saint-Jean-l’Évangéliste à la Pointe-Saint-Charles, un quartier de Montréal. Cette même année, la jeune communauté canadienne est composée de huit Fils : sept qui investissent leurs paroisses, et un huitième, Émile Grosse, qui était l’aumônier des Français de Montréal. La présence des Fils suscite également des premières vocations. La communauté est marquée en 1959 par le décès du père Paul Ledeur dans un accident.
L’église et la sacristie de la paroisse Saint-Jean à la Pointe-Saint-Charles (sans date, archives des Fils de la Charité, n°2627)
Le père Jean Naert, vicaire de la paroisse Saint-Jean à la Pointe-Saint-Charles (vers 1955-1959, archives des Fils de la Charité, n°2625)
Le père Émile Grosse, aumônier des Français de Montréal (1957, archives des Fils de la Charité, n°2625)
Les Fils au Canada en 1957 (1957, archives des Fils de la Charité, n°2625)
Les dix premières années des Fils au Canada ont été riches pour la congrégation. Les Fils surent s’implanter et trouver leur place dans les quartiers pauvres et ouvriers de la banlieue de Montréal. Cette équipe nombreuse et dynamique ouvre avec les années 1960-1970 une nouvelle période, celles des prêtres-ouvriers, de la JOC, du militantisme et de l’engagement dans le travail de santé communautaire, comme l’a bien montré le documentaire de Manon Cousin.
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