Des femmes contre Pinochet par Samuel Laurent Xu
La dynamique des « pobladoras » dans les quartiers populaires chilien
C’est dans le contexte d’une grave crise économique que le général Pinochet prend le pouvoir au Chili en 1973. Dans les quartiers populaires déjà s’était créée la dynamique des « pobladoras », c’est-à-dire de mise en commun des maigres ressources existantes pour faire face à la faim des enfants de moins de six ans sous-alimentés, ils seront 61% en 1976 ! Cette dynamique va s’étendre par « les communautés de base » à des comités de chômeurs, de l’alphabétisation, des cours du soir, des ateliers d’artisanat, des ateliers de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie, de lutte contre les violences intrafamiliales, etc.
Ce sont pour la plupart des groupes de femmes qui prennent en main ces réalisations, souvent animées par des petites communautés de religieuses qui sont insérées au cœur de ces quartiers. Elles s’investissent dans la dynamique des « pobladoras », agissent dans la clandestinité, participent à l’édition de revues et bulletins interdits et se solidarisent avec différents groupes de résistance, orientent vers les services d’assistance juridique du vicariat de la solidarité, aident des clandestins à fuir, manifestent contre la torture ; elles entretiennent la cohésion de nombreuses organisations économiques populaires soit 200.000 participants au début des années 1980.
Face à cette répression la résistance s’organise
Au fur et à mesure des mois, une répression de plus en plus atroce s’abat sur ces quartiers populaires (massacres, viols, tortures, assassinats, etc.) considérés comme des foyers de subversion contre l’ordre établi et en conséquence traités par le pouvoir comme une jungle où s’ouvre une chasse à l’homme, dans laquelle tous les coups sont permis. Face à cette répression la résistance s’organise et les « pobladoras » y joueront un rôle considérable.
Samuel Laurent Xu veut faire sortir de l’ombre ces héroïnes des quartiers populaires
C’est au cœur de cette société et d’une Eglise catholique fracturée que nous introduit Samuel Laurent Xu dans son livre « Des femmes contre Pinochet ». Il le fait à partir de carnets d’une religieuse française qui lui ont été confiés lors d’un échange universitaire au Chili en 2018 et dont il découvre le cheminement et les révoltes au cœur de ces quartiers populaires, parmi d’autres femmes souffrantes, dont elle a fait ses soeurs de cœur et de foi. L’auteur veut faire sortir de l’ombre ces héroïnes que le machisme ou le paternalisme relèguent dans les marges de la « grande histoire ».
L’engagement des communautés de base contre l’injustice et la valorisation de la dignité des pauvres
Comment cette petite religieuse d’une congrégation française issue de l’Ariège et envoyée comme enseignante au Chili, pouvait-elle, seule, faire face et ne pas être crucifiée au cœur de ces violences extrêmes ? Comment pouvait-elle concilier ce choix du Christ dans la vie religieuse alors que sa famille ne la reconnaît plus, que des supérieures la désavouent, que des communautés refusent désormais de l’accueillir, qu’un cardinal récuse l’action collective dont elle est partie prenante et qu’un pape vient conforter le dictateur et dénoncer la théologie de la libération, sans un mot contre la torture ? Condamnant la « théologie de la libération », le Vatican voulait supprimer l’assise spirituelle qui soutenait l’engagement des communautés de base contre l’injustice et la valorisation de la dignité des pauvres qui se découvrent capables de prendre toute leur place dans la société, fortifiés qu’ils sont par la lecture, la méditation et la prière de la Bible.
Tout ceci est aujourd’hui assez bien informé depuis le retour à la démocratie et les enquêtes et procès qui ont suivi. Un aspect reste manifestement peu connu : le rôle central des femmes du peuple dans cette résistance, et parmi elles celui des religieuses qui en ont souvent été le moteur.
Eric Recopé fc
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