Cadavres en sursis par Philip Mechanicus
Philip Mecanicus raconte la vie de dizaines de milliers de Juifs passés par Westerbork
Où as-tu vécu, Etty, pour avoir écrit des pages aussi fabuleuses ? Du 28 mai 1943 au 28 février 1944, jour après jour, Philip Mechanicus, journaliste de talent, raconte la vie de ces dizaines de milliers de Juifs qui sont passés par le camp de Westerbork (Hollande) avant d’être envoyés en Pologne. C’est alors qu’il côtoie Etty Hillesum qui l’admirait. Il arrive que Philip lui lise ce qu’il consigne dans son cahier ; certains de ses passages font écho aux lignes qu’elle a elle-même laissées.
Dans le camp de Westerbork seront regroupés la plupart des réfugiés des Pays-Bas
Westerbork est le nom d’une petite localité située dans le nord-est des Pays- Bas. Ce sont les autorités néerlandaises qui ont décidé de construire ce camp sur des terres sablonneuses incultes, au milieu de landes peu hospitalières, pour faire face à l’afflux de Juifs fuyant l’Allemagne et l’Autriche ; elles leur promettent des baraques en bois avec chauffage et sanitaires de qualité, un hôpital, une synagogue, des écoles ; dès octobre 1939, les premières personnes s’installent. Quand l’Allemagne envahit les Pays-Bas le 10 mai 1940, le camp compte 750 résidents. Au fil des mois, on va y regrouper la plupart des réfugiés du pays. A partir d’octobre 1942, c’est un officier SS qui dicte sa loi, barbelés et tours de guet délimitent les lieux. Il va déléguer à des Juifs allemands et autrichiens qui occupent des postes privilégiés le soin de gérer l’afflux des nouveaux arrivants, pour l’essentiel des Juifs hollandais raflés qui ne tarderont pas à être désignés pour monter dans les trains à destination d’Auschwitz. Tout est ordonné pour donner l’impression d’une ville normale, avec des ateliers en nombre, crèches, ensemble de jazz, écoles et surtout un hôpital de pointe qui a compté à un moment 1 725 lits et 120 médecins et chirurgiens ; l’insondable absurdité de Westerbork, machine destinée à envoyer les gens à la mort alors qu’il y avait là un système hospitalier performant.
Par moments le camp regroupait plus de 10 000 détenus
Environ 107 000 personnes sont passées par cette ville concentrationnaire ; seules 5 000 ont survécu. Par moments le camp regroupait plus de 10 000 détenus ; une population pour le moins hétéroclite : pieux et athées, des moines
et moniales portant l’étoile jaune, des sionistes, des assimilés et des résistants, des artisans, des paysans, des intellectuels et des artistes, des gens très âgés et des nourrissons.
Philip Mechanicus nous a laissé le témoignage le mieux écrit sur le quotidien à Westerbork
Selon Daniel Cumin, son traducteur, Philip Mechanicus nous a sans doute laissé le témoignage le plus captivant et le mieux écrit sur le quotidien à Westerbork. « Il croque sans concession ou au contraire avec mansuétude bien des personnages qui s’attardent dans son voisinage. Par moment la lucidité qui l’habite nous fait presque froid dans le dos ». Ce qui écœure, c’est la puanteur tant dehors que dans les baraquements, ce sont les puces, la boue dès lors qu’il pleut, les salles surpeuplées et bruyantes, les lits encombrés de bagages, les chefs de baraques, la promiscuité. Les tensions entre les Juifs allemands et les Juifs hollandais ne lui échappent pas. Quelques consolations tout de même, les avions alliés partant bombarder l’ennemi, des retrouvailles d’amis, les envoûtants couchers de soleil sur la lande, l’espoir que tout cela va finir bientôt. Il y a ces pages dramatiques qui décrivent le départ de mille ou de trois mille détenus dans des wagons à bestiaux, ce « serpent galeux ». Il sera déporté et fusillé à Auschwitz.
Comment me serais-je comporté ?
J’ai aimé prendre le temps de lire cet homme qui se considérait comme « un reporter accrédité aux fins de rendre compte d’un naufrage ». Avec cette question lancinante : si j’avais moi-même été déporté, comment me serais-je comporté ?
Gérard Marle fc
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