Un étranger nommé Picasso par Annie Cohen-Solal
“Annie Cohen-Solal m’a passionné !”
Lorsque l’on commence un livre de 700 pages, on en fait un compagnon de vie durant une vingtaine de jours environ, et le livre d’Annie Cohen-Solal m’a passionné. De Picasso je savais qu’il fut un peintre et un artiste surdoué, connu pour Les Saltimbanques, les demoiselles d’Avignon, Guernica et son engagement auprès des républicains espagnols, qu’il venait d’Espagne, j’ai appris qu’il est venu à Paris en 1900 pour l’exposition universelle, et qu’il a fini sa vie en 1973 à l’âge de 91 ans dans le Sud de la France.
Mais qui était Picasso ?
Comment a-t-il réussi à s’imposer dans une Europe déchirée par deux guerres mondiales, une guerre civile, dans une France xénophobe qui l’accueille mal, qui séquestre en 1914 et pour des années près de sept cents peintures, dessins et autres œuvres ? Pourquoi aucun de ses tableaux ne fut accepté dans les musées nationaux français jusqu’en 1947 ? Comment expliquer qu’il ne soit jamais devenu citoyen français alors qu’il en avait fait la demande en 1940 ?
Une véritable enquête policière
Annie Cohen-Solal nous livre une véritable enquête policière, consultant des fonds d’archives inexploités notamment à la préfecture de police, déchiffrant les 4000 lettres que lui a envoyées sa mère « adoratrice », consultant tel ou tel spécialiste sur une question précise. En fait, elle a voulu savoir qui était cet homme, quelles blessures intimes l’habitaient, lui l’étranger pour les uns, l’anarchiste (qu’il n’était pas) pour un commissaire de police, enfin le dégénéré pour les nazis. Il a réussi à s’imposer en créant lui-même des réseaux très différents qui ici le protégeaient, là exposaient ses œuvres en Europe centrale et aux États-Unis. Génial dans son art et stratège efficace
dans la gestion de ses affaires.
Picasso à Paris
Il n’oubliera jamais les conditions de son arrivée à Paris, il avait dix-neuf ans. Durant neuf années, il habitera dans l’Est parisien une « pouillerie », sans se plaindre, avec énergie et courage ; s’il a peint des saltimbanques ou autres aveugles, c’est qu’il ne savait pas comme eux naviguer dans une ville et un pays dont il n’avait pas les
clés. S’il a adhéré au Parti communiste en 1944, c’est parce qu’il y trouvait enfin une famille, un monde où il n’était plus un étranger.
Comme tout étranger il dut quitter un pays, une famille, et il l’a fait en ne répondant pas à une mère qui lui écrivait quatre lettres par semaine (elle en a ouvert 4000) et trouver une place dans un pays autre à bien des égards. Dès son arrivée il fut fiché par la police comme anarchiste par un commissaire de police peu apprécié par ses pairs et accessoirement peintre du dimanche et dont Anne Cohen-Solal a trouvé le nom ; c’est ce dossier qui, quarante années après lui a fermé la porte d’une naturalisation qui devait s’imposer.
Ce livre fourmille d’histoires locales, de gens méconnus qui ont joué un rôle capital, ainsi cet aubergiste espagnol à Gósol, petit village des Pyrénées, qu’il a fréquenté quelques mois et qui l’a conduit tranquillement à sa période cubiste. Il donne à voir un paysage contrasté et juste de la société française faite de gens bornés et de gens lucides et courageux. Ce livre invite chacun de nous, étranger ou pas, à devenir agent de sa propre vie, comme l’a fait Picasso, à refuser l’humiliation, à s’entourer, comprendre, réagir. Il a fini par refuser une possible naturalisation, il avait fait sans. Il a posé les actes qu’il fallait quand il le fallait. Pour la fin de sa vie, il a choisi la province contre la capitale, les artisans contre l’Académie des Beaux-arts, il est devenu un modèle pour les céramistes du monde entier. Et quelque part, pour nous tous.
Gérard Marle fc
Annie Cohen-Solal, « Un étranger nommé Picasso ». Fayard 2021, 728 pages, 28€.
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