Petit frère. Comprendre les destinées familiales par Isabelle Coutant et Yvon Atonga
Pourquoi dans une fratrie l’un s’en sort et l’autre pas ?
En 2016, un fait divers attire l’attention d’Isabelle Coutant, sociologue. Il s’agit d’un meurtre et le nom de celui qui a été assassiné et que l’on décrit comme un caïd de Villiers-le-Bel ne lui est pas inconnu. Elle se souvient de l’avoir rencontré quinze ans plutôt dans le cadre de ses recherches sur la banlieue et garde le souvenir d’un animateur de quartier très dynamique, l’image d’un grand frère à l’écoute des jeunes, admiré et avec une influence plutôt positive dans le quartier. Que s’est-il donc passé ? Isabelle renoue avec les connaissances de l’époque et surtout avec Yvan qui a voulu comprendre pourquoi son frère Wilfried n’avait pas échappé à la Cité alors que lui avait réussi.
Famille originaire du Congo-Brazzaville, arrivée en France en 1977
Nous sommes alors plongés dans la vie d’une famille originaire du Congo-Brazzaville, arrivée en France en 1977 et installée à Villiers-le-Bel. Le père a refusé de suivre la tradition familiale de chasseur et a voulu apprendre à lire et à écrire pour s’émanciper. Il fuit donc au Cameroun chez une tante, se débrouille pour manger et travailler. Il travaillera dans les travaux publics, puis devient chauffeur. Il revient à Brazzaville en 1968 et trouve un emploi comme chauffeur dans les ministères. Voyant ces derniers envoyer leurs enfants faire leurs études en Europe, il se dit : « ça veut dire que l’Europe, ça doit être bien » et il postule avec insistance pour y être muté.
Les plus grands protégeant les plus jeunes de mauvaises influences
Marié entre temps, il a fondé une famille avec la conviction que « les enfants, c’est la plus grande richesse qu’on peut avoir, c’est la plus grande fierté qu’on peut avoir. » Il prendra une deuxième femme, ce qui fera une fratrie de dix enfants. Comme dans toutes les grandes familles, des affinités émergent permettant de se soutenir. Les plus grands protégeant les plus jeunes de mauvaises influences.
C’est dans ce contexte que nous voyons évoluer Wilfried entre fratrie, bande de quartier, école, activités diverses, à côté d’un frère qui prend davantage au sérieux les conseils de leur père qui les pousse à lire et faire des études.
Le dilemme qui se pose alors est celui de rester fidèle à ses racines familiales liées à celles d’une Cité et en même temps de s’émanciper
Pour ce faire, il faut s’extraire d’un environnement bruyant, agité et parfois tendu. Si les deux frères restent très complices, en particulier dans des projets musicaux (Rap), leurs voies vont diverger, l’un poursuivant ses études l’autre avançant « à la débrouille » jusqu’à devenir un bon animateur de quartier.
Le dilemme qui se pose alors est celui de rester fidèle à ses racines familiales liées à celles d’une Cité, aux copains de toujours et en même temps de s’émanciper pour se construire une vie plus tranquille au profit de la famille que l’on crée.
Les tensions sont parfois vives et le passé peut ressurgir inopinément comme pour Wilfried, revenu régler un différend, et assassiné.
Invité au cœur même du récit familial de migrants vivant en Cités
La particularité de ce récit d’Isabelle Coutant vient de ce que cette famille est originaire du Congo-Brazzaville. La rédactrice a pris soin d’ajouter une annexe bien fournie précisant les caractéristiques sociales des immigrés congolais et de leurs descendants. On découvre qu’ils sont globalement plus diplômés que les migrants des autres pays d’Afrique ou hors Afrique. Et encore, parmi d’autres précisions fort intéressantes, que, contrairement aux idées reçues, 25% des hommes se déclarent athées ou sans religion.
Ce témoignage ne m’a pas laissé indifférent car j’ai connu comme tant d’autres ce type de situation. Cependant il nous arrive rarement d’être invité au cœur même du récit familial de migrants vivant en Cités.
Éric Récopé fc
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