“Moïse l’insurgé” par Jacob Rogozinski
Qui était donc Moïse et quel message en tirer ?
Nous pouvons avoir un vague souvenir de la « guerre de Troie », ce conflit légendaire décrit par Homère dont l’historicité est controversée ; de cette ville mythique on ne trouvait pas trace ; c’est à la fin du XIXe siècle qu’un archéologue allemand en découvre les ruines. Des lecteurs passionnés de la Bible ont cherché les traces de l’Exode des Hébreux, de leur fuite de l’esclavage en Égypte. Mais à ce jour aucune preuve, ni dans des sites du désert, ni dans les archives des pharaons. Jacob Rogozinski se propose de réinterroger les Écritures bibliques, mais aussi les écrits qui les précèdent, et dont elles portent l’empreinte, en particulier ceux d’Egypte et de Canaan. Qui était donc Moïse et quel message en tirer ? C’est à cette enquête passionnante que nous sommes invités à participer.
Les chercheurs ont découvert la mention d’une entité appelée Israël sur une stèle relatant la « pacification » menée par le pharaon Merenptah au XIIIe avant J.C, contre des cités et peuplades rebelles ; « la Maison de Servitude » ne se trouverait pas seulement en Egypte, mais aussi en Canaan (aujourd’hui terre israélopalestinienne) où sévissait brutalement l’occupation égyptienne, dont l’esclavage pour les rebelles, les vaincus et autres endettés.
Le terme « Habirou » désigne un mode de vie, d’hommes hors de tout statut social
« Le séjour des fils d’Israël en Egypte a été de quatre cent trente ans » (Ex 12, 40) Chiffre qui correspond à peu près à celui de la domination égyptienne sur Canaan (-1550 à -1150). De l’époque où l’emprise égyptienne sur Canaan s’affaiblit ont été retrouvées des archives cananéennes et des lettres adressées par ses vassaux au pharaon se plaignant de rébellions. Les rebelles auteurs de ces désordres sont nommés « Habirou » et sont cités en Egypte comme ailleurs, en particulier à Canaan. « Ils mènent la révolte dans les cités et ils n’hésitent pas à tuer leurs rois comme des chiens et personne pour les poursuivre ! » Ce terme de « Habirou » ne désigne pas une tribu ou un peuple, mais un mode de vie, celui d’hommes ayant choisi de vivre hors de tout statut social, hommes sans terre, sans tribu, sans maître, vagabonds, esclaves fugitifs, paysans endettés, mercenaires, scribes et dignitaires en disgrâce. On ne naît pas Habirou, on le devient par une rupture avec l’ordre établi ; fuite, exil ou encore exode en groupes.
Moïse, d’une tribu maudite, né d’un inceste, affecté d’une maladie de peau, bègue, rebelle puis fuyard
Surgit alors une hypothèse. Le récit de l’Exode ne serait-il pas une transposition imaginaire de la sortie de la servitude dans la migration d’un pays à l’autre ? Récits rédigés à la fin de l’époque des Rois (au 7esiècle) et lors de l’exil à Babylone. Les Hébreux qu’évoque l’Exode semblent entrer dans cette catégorie : Moïse le premier d’entre eux n’est-il pas décrit comme de la tribu maudite de Lévi (Gn 49, 7), né d’un inceste (Ex 6, 20), affecté d’une maladie de peau (4, 6), bègue (4,10), rebelle qui prend le parti des esclaves (2, 12), puis fuyard (3, 15) avant de devenir ce leader qui ne revendiquera jamais une ascendance divine ou un pouvoir absolu comme les pharaons et rois de l’époque ; il s’entoure d’un chef de guerre (Josué) et d’un prêtre (Aaron). Il sera à la tête d’une coalition disparate qui cimentera son identité au long des années dans son combat pour sa liberté. Son Dieu est un « Dieu avec » qui a « vu sa misère et entendu son cri », un Dieu qui rassemble ce peuple ingérable.
Moïse, simple serviteur des desseins de son Dieu
Et si « Moïse » était ce leader à cette époque d’anarchie en Canaan ? Homme du commun de par ses origines, ses handicaps, son refus de s’approprier les attributs des pouvoirs, il disparaît sans laisser de traces comme simple serviteur des desseins de son Dieu. Peu importe, le message est là : Dieu ouvre un chemin de libération pour toute l’humanité.
Eric Recopé, fc
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