Michel Colas des Francs (1911-1945) : un prêtre-artiste captif des oflags

27 Sep 2024 | Chantiers, Histoire & Patrimoine | 2 commentaires

Auteur de l'article : Anaëlle Herrewyn
Crédit photos : Fils de la Charité

Michel Colas des Francs (1911-1945) : un prêtre-artiste captif des oflags

Michel Colas des Francs (1911-1945) est une figure peu connue des Fils de la Charité. Issu d’une famille aristocratique de l’Orléanais, c’était un érudit et un artiste que rien ne semblait destiner à entrer dans les ordres. Il choisit d’embrasser la vie religieuse qu’il vécut avec ferveur, malgré plus de cinq années de captivité dont il ne vit jamais la fin. Mobilisé dès l’entrée dans la Seconde guerre mondiale, il fut l’un des 1,8 million de soldats français capturés par l’Allemagne. Parmi ces prisonniers, de nombreux religieux qui, à l’instar de Michel Colas des Francs, poursuivirent leur sacerdoce.

Enfance et jeunesse de Michel Colas des Francs

Michel Marie Colas des Francs naît le 25 septembre 1911 à Biarritz. Il effectue sa scolarité dans l’Orléanais et sort bachelier en 1928 de l’école Saint-Croix. Intéressé par l’histoire, l’archéologie et l’histoire de l’art, il intègre en 1929 l’École des Chartes d’où il est diplômé archiviste-paléographe en 1933. Il commence son service militaire en 1932, d’abord comme élève officier de réserve à l’École de formation de Saint-Maixent, puis en 1933 à l’école de perfectionnement des officiers de réserve d’infanterie de la région de Fontainebleau, où il est sous-lieutenant.

 

Photographie à l’École de formation de Saint-Maixent (vers 1932-1933, archives des Fils de la Charité, 2E05/02)

Entrée dans la vie religieuse

Issu d’un milieu très favorisé, Michel Colas des Francs n’était pas satisfait de sa vie et manifestait une sensibilité religieuse et un souci des autres. Alors qu’il est au service militaire, il écrit à sa soeur Marguerite, le 11 juin 1933, qu’il est « très malheureux d’être le plus heureux des hommes. J’ai honte de vivre cette belle vie de sous lieutenant sans souci ni beaucoup de travail, au milieu de tant de gens qui peinent et souffrent ». Séminariste aux Carmes, il entre en 1933 au noviciat des Fils de la Charité, où il trouve un épanouissement personnel et spirituel. Dans sa première lettre écrite à Draveil, au séminaire des Fils de la Charité, il dit à sa soeur Marguerite : « Voilà en effet la première fois de ma vie que je me sens pleinement satisfait, sans rien désirer de plus que ce que je possède. Qu’est-ce qu’on peut désirer de plus quand on possède Dieu ». Michel Colas des Francs était très proche d’une de ses sœurs aînées, Marguerite dite « Marg ». Il lui écrivait très régulièrement et semblait partager avec elle une même sensibilité religieuse. Dans une lettre du 2 janvier 1939, lors des vœux de la nouvelle année, il lui adresse par écrit des vœux de santé et « surtout de sainteté puisque c’est en définitive ce dont nous avons le plus besoin tous les deux et ce qui nous intéresse le plus ».

 

Lettre du 12 novembre 1933 de Michel Colas des Francs à Marguerite (1933, archives des Fils de la Charité, 2E05/03)

Au noviciat, Michel Colas des Francs suit des cours, débute des activités religieuses, et il prépare et encadre des colonies. Il consacrait également du temps à la peinture, notamment l’aquarelle. Il prononce ses vœux temporaires en 1934 et ses vœux perpétuels en 1936. Ordonné prêtre en 1938, il est vicaire à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Belleville, une paroisse ouvrière où il est chargé du patronage et de l’encadrement de colonies de vacances. Il n’y exerce son sacerdoce que peu de temps : lorsque la Seconde guerre mondiale éclate, il est mobilisé.

 

Aquarelle et dessin réalisés par Michel Colas des Francs (sans date, archives des Fils de la Charité, 2E05/05)

Brochure pour une colonie de vacances à destination des enfants de Belleville (1938, archives des Fils de la Charité, 2E05/09)

Photographie d’une colonie de vacances encadrée par Michel Colas des Francs (sans date, archives des Fils de la Charité, 2E05/05)

Lieutenant pendant la guerre

Depuis 1905, les religieux ne bénéficiaient plus d’un traitement spécial ; ils devaient faire leur service militaire et ils étaient mobilisables en cas de conflit. Dès la déclaration de guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939, Michel Colas des Francs est mobilisé comme lieutenant motocycliste. Il est nommé au début de l’année 1940 commandant de compagnie. Il tente autant que possible d’exercer son sacerdoce dans les villages où sa compagnie s’arrête et il dit la messe pour ses camarades. Il n’oublie pas sa paroisse, parlant de « tous mes gamins de Belleville qui m’écrivent », paroisse où il retourne lors d’une courte permission à la fin de l’année 1939.

Alors que sa compagnie se situe au nord de la Normandie, des premiers combats avec les Allemands se tiennent en mai 1940. La situation de l’armée française se dégrade très rapidement et la signature de l’armistice le 22 juin 1940 acte la fin des combats. Son régiment se rend aux autorités allemandes. Officiers et soldats sont alors séparés. Le père Colas des Francs et d’autres officiers sont logés dans un hôtel de Bagnoles-de-l’Orne pendant plusieurs semaines en attendant qu’on statue sur leur sort.

 

Captif dans un oflag

Le père Colas des Francs est envoyé dans un oflag (abréviation de l’allemand Offizierlager, camp d’officier) ; pendant toute la durée de la guerre, ce sont 29 000 officiers français qui sont envoyés dans une soixantaine d’oflags. Michel Colas des Francs arrive en septembre 1940 à l’oflag XVIII A de Lienz-Drau en Autriche. Il correspond avec son père, sa soeur Marguerite et le père Le Bihan, le curé de Belleville. Il leur fait part de sa vie quotidienne, de ses activités et aussi de ses pensées face à sa situation de captif qu’il accepte avec une certaine résignation. Il tente par deux fois de s’évader de Lienz, en vain.

 

Photographie de l’oflag XVIII A à Lienz (sans date, archives des Fils de la Charité, 2E05/12)

Enveloppe d’une lettre de Michel Colas des Francs à Marguerite (1941, archives des Fils de la Charité, 2E05/03)

Pour d’occuper le temps en attendant la libération, Michel Colas des Francs participe à la vie intellectuelle de son oflag. Les officiers ne pouvant pas travailler, un ensemble d’activités intellectuelles, artistiques, sportives et manuelles se mettent rapidement en place afin de permettre à ces hommes instruits de tromper l’attente, conserver leur dignité et envisager l’avenir. Michel Colas des Francs y étudiait l’archéologie, l’histoire et l’anglais, envisageant de passer une licence d’histoire à son retour. Il donnait également des conférences, animait des cercles et contribuait à la préparation en 1942 d’une semaine d’études sur les mouvements de jeunesse en France. Il écrit à la fin de l’année à son père que « je n’aurais pas à regretter ces années de captivité où j’aurais beaucoup appris des hommes et des choses et acquis une expérience qui me suivra, je pense, de retour à Paris ». Au début de l’année 1943, le sujet des études est moins récurrent, fruit d’une possible lassitude face à la monotonie de la captivité.

 

Lettres de Michel Colas des Francs à son père (1940-1944, archives des Fils de la Charité, 2E05/10)

Michel Colas des Francs était également artiste. Il peignait à l’aquarelle le camp et ses environs. Il pratiquait le dessin, a essayé la gouache et la sculpture sur plâtre. Il présente ses travaux lors d’expositions de peinture organisées au camp. Il déplore toutefois le 2 janvier 1941 dans une lettre à son père qu’une exposition lui a « valu de perdre mes plus belles aquarelles réclamées comme souvenir par des colonels. Il était difficile de les leur refuser. ». Michel Colas des Francs occupait également son temps par des promenades en groupe et même par du sport. Il contribuait à l’entretien d’un jardin cultivé par plusieurs prisonniers, dont les récoltes étaient de plus en plus nécessaires avec la diminution des rations alimentaires dans le courant de l’année 1942.

 

Lettres de Michel Colas des Francs à sa soeur Marguerite (1941-1945, archives des Fils de la Charité, 2E05/03)

Proche des autres, proche de Dieu

Michel Colas des Francs, par sa correspondance assidue avec son père et sa soeur Marguerite, gardait le lien avec sa famille, et les colis qu’elle lui envoyait régulièrement amélioraient ses conditions de détention. Le père de Michel Colas des Francs et sa soeur Marguerite ont entretenu une correspondance avec Jean Le Bihan. Ils se transmettaient mutuellement des nouvelles du prisonnier, et le père Le Bihan s’efforçait de leur apporter des bonnes nouvelles et de se montrer optimiste quant à sa libération. Il écrit à Marguerite Colas des Francs le 7 novembre 1941 : « Une lettre d’un officier libéré de Lienz m’a apporté hier d’excellentes et élogieuses nouvelles de l’abbé Michel en bonne santé et d’un moral à bonne hauteur ». Il écrit également au père du prisonnier, le 10 octobre 1942 : « Je me réjouis de son excellent moral et de sa santé : il fait beaucoup de bien et c’est heureux. Grâce à lui, nombre de ses camarades surmonteront l’épreuve et Dieu l’en récompensera ».

 

Lettres de Jean Le Bihan au père de Michel Colas des Francs et à sa soeur Marguerite (1941-1942, archives des Fils de la Charité, 2E05/11)

Michel Colas des Francs n’oubliait pas sa congrégation. Il correspondait avec le curé de sa paroisse, Jean Le Bihan, et occasionnellement avec le supérieur de la congrégation, André Monnier. Il se souciait toujours de sa paroisse et une partie de la correspondance entre son père et Jean Le Bihan portait sur sa solde, qu’il désirait en partie attribuer à sa paroisse pour financer des colonies de vacances. Infatigable, le père Colas des Francs assurait aussi son sacerdoce. A la fin de l’année 1942, il est choisi comme aumônier du camp. Il disait la messe, faisait des sermons, le catéchisme et des retraites spirituelles. Le camp disposait d’une chapelle que le père Colas des Francs se souciait d’orner et entretenir. Il exerçait son sacerdoce avec des moyens limités, nécessitant parfois d’être inventif et de faire appel aux talents parmi les prisonniers du camp. Lors du passage à l’année 1942, il fit sa messe de minuit sur « un autel de ma composition avec courtines en papier crépon ». Il était un soutien moral pour les compagnons qui le sollicitaient, il avait une certaine influence dans le camp, fit des conversions et des premiers baptêmes. Il respectait les croyances de chacun sans chercher à convertir.

 

Aquarelles de Michel Colas des Francs réalisées à l’oflag de Lienz (vers 1940-1944, archives des Fils de la Charité, 2E05/11)

Le transfert vers l’oflag XB

En septembre 1944, l’oflag XVIII A est éclaté et les officiers sont répartis dans d’autres camps. Il est transféré, peut-être de son propre chef, avec 300 autres officiers vers l’oflag XB à Nienburg. Les conditions de détention y étaient plus rudes et ont altéré sa santé. Le père Colas des Francs reprend des cours d’histoire, dirige la paroisse du camp et hérite de la direction spirituelle d’une partie des officiers d’un ancien camp. Il s’efforce de garder le moral et écrit à sa soeur le 14 novembre 1944 : « Un certain inconfort rapproche de Dieu et peut-être est-ce de cette façon là qu’il faut le chercher, si on veut vraiment le chercher ». Dans sa dernière lettre à son père, le 8 janvier 1945, il écrit que « Ici toujours des conditions matérielles pénibles, mais on tient le coup ». Alors que la libération semble proche, le 4 février 1945, un bombardement allié touche sa baraque. Michel Colas des Francs et 97 autres officiers sont tués. Son corps, qui n’a pas pu être identifié, est enterré sur place avec ses compagnons. Il avait 34 ans.

 

Poème illustré par Michel Colas des Francs, issu du recueil des prisonniers de Lienz, “Exil”, édité par Yves Noulant (1946, archives des Fils de la Charité, 2E05/13)

Postérité

Nécrologies et témoignages rendent unanimement hommage à Michel Colas des Francs. Plusieurs officiers qui l’ont côtoyé ont gardé de lui un souvenir marquant. Il est décrit comme étant un homme de conviction, sincèrement épris de Dieu, très érudit, un peu maladroit, taciturne, travailleur et qui aimait sa paroisse et le monde populaire. La vie de Michel Colas des Francs est bien connue grâce à son riche fonds d’archives, constitué en partie d’un don de sa famille, et qui renferme ses rares écrits et aquarelles qui nous soient parvenus.

 

Extrait du décret du 3 octobre 1949 portant nomination de Michel Colas des Francs dans l’ordre national de la Légion d’Honneur (1949, archives des Fils de la Charité, 2E05/14)

Hommage de la paroisse de Belleville à Michel Colas des Francs (1945, archives des Fils de la Charité, 2E05/12)

 

Bibliographie

Gayme, Évelyne. « Les OFLAGS, centres intellectuels ». Inflexions, vol. 29, n°2, 2015, p. 125-132.
Manoha, Laure. “Si j’en reviens, j’irai”. Du parcours de trois prêtres-prisonniers français en stalag au pèlerinage des rapatriés à Lourdes (1939-1946). Mémoire de master 2. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne, 2022. dumas-03820620.

Sources

Archives des Fils de la Charité. 2E05 : fonds Michel Colas des Francs.

2 Commentaires

  1. Hervé Devassine

    Bonsoir Mme, Mr
    Je suis Hervé Devassine, président d’une association d’histoire à Renescure. J’ai retrouvé un cahier de cantonnement avec un nom “M. Colas de Fran”, lieutenant au 131 ème RI. En consultant ce site, j’ai de fortes présomptions qu’il s’agisse du même nom.
    Il a cantonné à Renescure (Nord) certainement fin 1939 début 1940.
    Au plaisir d’en discuter et d’échanger avec vous.
    Très cordialement
    hdevassine@gmail.com

    Réponse
    • Florence Krasowski Communication

      Bonjour monsieur, je vous remercie d’avoir pris le temps de nous écrire. Je fais suivre à l’archiviste. Meilleures salutations

      Réponse

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