Les débuts. Par où recommencer ? par Claire Marin
Claire Marin se passionne pour les commencements
L’envie de savoir où nous allons. « Cela fait vingt ans que je suis avec vous, parce que je veux savoir où je vais », un tel aveu, je ne m’y attendais pas vraiment. Je l’attendais plutôt sur le passé, le sien, revisité maintes fois, là où les ombres n’ont pas disparu, où des « pourquoi » forcent les portes toujours à frais nouveaux. Claire Marin, professeure de philosophie en Grandes écoles et écrivaine, se passionne pour les commencements.
Son livre débute par ces mots qu’elle adresse à sa fille : « De toutes les histoires qui commencent, c’est la tienne qu’il m’importe de raconter. Parce qu’elle bouleverse la mienne comme personne ne l’a jamais fait. Ce tout début de ta vie décide de ce que sera désormais la mienne. » Elle expliquera ailleurs : on ne peut prévoir ce qu’être mère va produire en nous comme inquiétudes, c’est prendre en charge un autre que soi de façon démesurée ; se rendre disponible, accepter de passer au second plan, il n’y a pas d’équivalent ; on est en dette envers sa mère tous les jours, « on devrait à notre mère un cadeau tous les jours. »
Qui peut expliquer quand commence la vie d’un enfant ?
« On dit parfois qu’on écrit des histoires pour en maîtriser la fin. Peut-être qu’on les écrit pour en découvrir le début. » Mais bien malin qui peut expliquer quand commence la vie d’un enfant : est-ce lorsque les parents en ont parlé pour la première fois ? Lorsqu’il se développe au chaud dans le ventre de sa mère, lorsqu’il apparaît, ou plutôt lorsqu’il tient debout pour la première fois, est-ce plutôt dans les premiers babillages incompréhensibles qui dit sa joie d’être avec nous ? De tout cela il ne se souviendra de rien. Est-ce lorsqu’il dira « je » pour la première fois ?
Multiples commencements
Porteraient-ils la question d’un commencement qui vient de plus loin, qui en appellerait à un créateur ? Manifestement ce n’est pas le sujet de ce livre, l’auteure, Claire Marin, exprime la crainte que la reconnaissance d’un créateur ultime conduise certains à se revendiquer eux-mêmes créateurs et à vouloir un jour le remplacer.
Nous sommes des êtres changeants
Claire Marin préfère souligner : « Nous ne sommes jamais les premiers. Nous sommes pris dans un maillage, inscrits dans une trame, parlons avec les mots des autres, mélangeons nos idées aux autres au point de les confondre. On monte dans un train en marche. » Autrement dit, « on commence par le milieu », au sein d’un milieu, on s’inscrit dans un agencement sur lequel on s’appuie mais que l’on dérange aussi par ce qu’il y a d’original en nous. Et c’est bien ainsi : à la répétition sans relief des jours, on peut préférer l’imprévisible, la fraîcheur de la première fois, « c’est comme si j’écoutais cette chanson pour la première fois ». Il y a aussi la peur du changement, le vertige de la page blanche. Mais « nous sommes des êtres changeants, pas de soldats de plomb ».
Claire Marin et Hannah Arendt
Comme l’auteure, j’ai retenu des travaux d’Hannah Arendt que l’homme est un initiateur, capable « d’inaugurer quelque chose de neuf, de prendre l’initiative ». Alors que nous sommes tétanisés devant de monstrueux défis, nous pouvons espérer le miracle : « Le fait que l’homme est capable d’action signifie que, de sa part, on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable ».
Je n’oublie pas qu’Arendt reconnaissait dans le christianisme la force des commencements, qui se célèbre chaque année à Noël par ces mots « Aujourd’hui, un enfant nous est né. ». J’aime le mot de la fin joyeuse de ce livre : « On devrait aussi comprendre que les choses sont sans espoir, et cependant être décidé à les changer. »
Gérard Marle fc
- MARIN, Claire. Les débuts. Par où recommencer ? Autrement, 2023. 187 pages
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