Le Dieu qui ne compte pas, par Étienne Grieu sj
Voici un livre d’Étienne Grieu inconfortable qui demande du temps parce qu’il enrichit ce dialogue incessant entre les textes bibliques et notre propre vie. L’écriture est sobre, ponctuée de « mais il y a plus » qui nous introduisent dans un univers qui sans cesse « élargit l’espace de notre tente ».
Dieu est gratuité
Au centre de la vie chrétienne, il y a « ceux qui ne comptent pas », il y a « l’écoute des humiliés et des boiteux » qui vont nous révéler petit à petit mais avec force un Dieu qui lui-même ne compte pas, aux deux sens du terme : Dieu est gratuité, don sans calcul ni retenue, il est la « vie en abondance », et en même temps, il ne s’impose à personne. Il frappe à la porte et il n’entre que si nous l’y invitons, au risque d’être oublié comme les oubliés de nos sociétés. Depuis longtemps déjà Étienne Grieu, jésuite, conduit cette méditation lourde de conséquences : « Le grand rendez-vous spirituel et religieux de notre temps est avec le Dieu qui ne compte pas, qui ne compte plus comme un acteur qui pourrait faire valoir ses états de service ou s’imposer dans nos compétitions. Et qui ne compte pas, au sens où, mû tout entier par un dessein de don, il s’est toujours refusé à ce que le calcul occupe la première place. »
Une fraternité à renouveler
L’auteur place au cœur de l’annonce de l’Évangile et donc au cœur de l’Église ce « petit peuple qui la houspille », ce même peuple considéré comme ignorant et dont Jésus dit qu’ils sont les plus qualifiés pour parler de Dieu. Ils nous permettront de définir une nouvelle « utopie » pour le monde, à savoir une fraternité renouvelée car toute centrée sur notre capacité de donner une place à tous les oubliés. Nous préparons ainsi ce que les chrétiens appellent le Royaume. « Que ton Règne vienne ! »
Depuis longtemps, Étienne Grieu sj fréquente des lieux où ceux qui ne comptent pas prennent la parole après de très longs silence, blessés qu’ils étaient jusque dans leurs capacités de raconter ; de ces paroles il tente de nous en faire entendre toutes les significations. Voici un court extrait d’un dialogue : « C’est pas une vie. Déjà, à la naissance, j’ai été abandonné. Ça fait cinquante ans, oui, depuis ma naissance. Des questions ? Je m’en pose des questions. Je ne suis pas mort pour ça. Ma vie, elle est comme ça, je vis quand même. » Si nous prenions le temps de mettre sur un papier ce que nous comprenons de ces quatre lignes, nous pourrions ensuite lire le commentaire qu’en fait l’auteur au chapitre 3. De même peuvent être mises en débat les quatre pages sur la religion populaire.
Au cœur de l’Alliance
Devant le chemin de croix, les textes de la passion du Christ (« Il est tombé » « Il a voulu souffrir pour nous, c’est notre sauveur »), devant les récits de la Résurrection, ceux-là qui se taisent habituellement discernent un Dieu qui n’a pas abandonné son Fils, et qui n’abandonne aucun de ses fils, ceux qui sont dans la grande misère et ceux qui sont avec eux, en relation avec eux, en dehors de tout calcul, et pour l’unique raison : « Tu me demandes pourquoi ? Parce que c’est toi. »
Peut-être sommes-nous accablés, déprimés devant un monde présenté comme éclaté de toutes parts parce qu’il n’y a plus de grands récits, ni de projets de société communs capables de nous fédérer, de faire de nous un peuple. « En redécouvrant l’Église comme signe de l’Alliance, nous sommes reconduits vers ces frères qui campent au bord du monde. Nous retrouvons le geste séculaire des croyants qui, au long du récit biblique, refusent de voir jeter hors de notre cité ceux qui nous font peur ou qui sont ingérables. Ce sont ceux-là qui nous ramènent au cœur de l’Alliance, parce qu’ils sont, dans leur être même, une question vivante adressée à tous : qu’est-ce qui fait que nous appartenons à la même famille humaine ? »
Gérard Marle fc
0 commentaires