« Être juif et polonais après 1945 » par Joanna Kubar
Ce soir-là, nous étions quelques privilégiés à entendre Joanna Kubar parler de ce livre. Un évènement familial l’a conduit à écrire, comme pour s’expliquer avec ses enfants surpris de voir leur mère, scientifique reconnue, investir dans des études religieuses.
Les nazis n’ont pas tué tous les Juifs de Pologne ?
Ce livre de Joanna Kubar répond à trois principales questions, difficiles à entendre. « Vous êtes française, mais à votre accent, vous seriez polonaise ? » – « Non, je suis Juive polonaise. » – « Donc, les nazis n’ont pas tué tous les Juifs de Pologne ? Et pourquoi vos parents sont-ils restés dans une Pologne profondément antisémite ? » Lorsque les pays d’Europe occidentale expulsaient les Juifs, explique-t-elle, ceux-ci se réfugiaient à l’Est et ils y étaient chez eux : « La Charte générale des libertés juives, publiée en 1264, servira à définir la situation des Juifs en Pologne et conduira à la création de la Nation juive autonome de langue yiddish qui perdurera jusqu’en 1795 […]
A partir de 1918, lorsque la Pologne est redevenue indépendante après 150 ans de démembrements et d’annexions successives, on a vu l’explosion de la haine anti-juive, à tous les niveaux de la société polonaise et en particulier dans les universités. Pourtant au cours de la même période la contribution de l’intelligentsia juive à la culture polonaise fut essentielle. » La période communiste fut globalement meilleure mais elle a entraîné une hostilité antijuive accrue. Sa famille est restée.
« Avant la guerre, écrit-elle, plus de trois millions de Juifs habitaient en Pologne. Environ 300 000 Juifs sont partis en Union soviétique en septembre 1939, date de l’invasion allemande. Après 1945, le plus grand nombre de Juifs habitant en Pologne qui a pu être établi date de juin 1946 et s’élève à environ 220 000. Parmi eux environ 170 000 Juifs sont ceux revenus en Pologne de l’Union soviétique, dont mon père, et environ 50 000 sont des personnes sauvées – les partisans et les personnes cachées du côté aryen, dont ma mère. »
Mais le cœur du récit est ailleurs. Il s’agit d’histoire et du destin, en conséquence, de la religion – au sens large. A la question, « qu’est-ce un Juif ? » il n’y a pas de réponse unique, définitive ». Son premier lien à la communauté, est celui du « sang versé », presque toute sa famille a été assassinée.
Récit d’un itinéraire
Le chapitre 2 est un magnifique récit de son itinéraire. Au départ, des discussions à Jérusalem avec une cousine et son mari rabbin qui l’introduisent à la célébration du shabbat, « une expérience unique, faite de louange, un avant-goût d’éternité, un art ». Avec le rite, l’étude. Le rabbin Hillel – un contemporain de Jésus – expliquait à un païen qui souhaitait se convertir : « Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît, ne l’inflige pas à autrui. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. Maintenant, va et étudie ». Cela, de génération en génération et quoi qu’il arrive.
Un livre d’amour pour les parents de Joanna Kubar
Joanna Kubar n’en rajoute sur la part de l’Église catholique dans l’antijudaïsme dont elle a souffert, mais qu’elle ne nie nullement. Ses parents étaient tous deux éditeurs et journalistes, son père a connu plusieurs années de prison pour avoir été militant communiste, ils sont restés en Pologne parce qu’ils voulaient un monde de justice ; une réalisation de l’espérance messianique juive ? La question reste ouverte.
Aujourd’hui sa mère vit aux Etats-Unis et son père est resté en Pologne. Elle-même vit et travaille en France depuis 1968.
Une amie a dit de ce livre qu’il était un livre d’amour pour ses parents. Je crois que c’est vrai.
Gérard Marle fc
- Joanna Kubar « Être juif et polonais après 1945 » – Le Bord de l’eau, collection Judaïsme, 2023, 181 pages, 18€
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