La patience des traces par Jeanne Benameur

8 Jan 2025 | Livre coup de cœur | 0 commentaires

Auteur de l'article : Gérard Marle fc
Crédit photos : Actes Sud

La patience des traces par Jeanne Benameur

L’écriture est belle, comme toujours avec Jeanne Benameur

« Le bol est tombé sans qu’il s’en rende compte. Il lui a échappé des mains. On peut jouer toute une vie sur quelque chose de brisé. Il en sait quelque chose. Il abaisse son regard sur la faïence bleue. Le bol a gardé en empreinte des traces plus sombres malgré les lavages. » Est-ce cet incident domestique qui conduira Simon à revenir sur ce qui lui échappe toujours, lui, le psychanalyste sur le point de partir en retraite ? De la pile d’agendas où sont notés tous les rendez-vous, il en retire un et l’ouvre ; il tombe sur un nom, Lucie F. ; cette femme a mis fin à ses rendez-vous sans explication. Sur une maladresse de sa part ? Simon ne sait pas, et n’arrive pas à l’oublier.

Simon vit seul, mène une vie rangée, ne voyage pas ; il aime l’océan tout proche. Maintenant, il décide de tout quitter. A sa demande, son ami Hervé lui prépare un voyage, sans date de retour. Ce sera le Japon. Il y a certes Kyoto, mais « pour le complet dépaysement, je t’ai trouvé autre chose. Les îles Yaeyama. Une végétation subtropicale et des traditions respectées. » Et une maison d’hôtes bien particulière tenue par le couple Itô. Akiko est collectionneuse de tissus anciens ; elle a fait des études de lettres à la Sorbonne en son temps. Daisuke, lui, redonne vie à des objets cassés : « Il n’est pas un grand parleur, mais vous verrez, cette maison est imprégnée de sa présence ». Leur jardin est luxuriant. Dans cet environnement incroyable, il découvre des gens passionnants.

Il a choisi d’être celui à qui on s’arrime pour pouvoir aller au plus profond

Écouter les autres, c’est son métier. « Tant d’années de sa vie à écouter le mystère de toute vie. A s’en approcher. Tant d’années pour accepter qu’au fond de toute clarté, l’opaque subsiste. C’est le plus difficile. » S’approcher au plus près mais en restant sur le bord. Il a choisi d’être celui à qui on s’arrime pour pouvoir aller au plus profond.
Aujourd’hui il se dit que ça lui a bien évité d’y aller. Aujourd’hui, seul, il a la sensation de s’aventurer vraiment. La peur est là, bien sûr, il la sent. Il écrit sur lui dans son carnet désormais, il va s’écouter le temps qu’il faudra.

Simon comprend qu’il est venu sur cette île à la rencontre de son propre silence

Le livre de Jeanne Benameur met en miroir le bol cassé, le travail de son hôte japonais, les tissus de collection, cette femme qui brusquement a cessé de le consulter et lui-même, Simon, qui refusait jusque-là de regarder en lui les traces d’un passé qui ne passe pas ; le silence du cabinet d’analyste et cet autre silence qui habite cette maison : Simon comprend qu’il est venu sur cette île à la rencontre de son propre silence. Le voilà avec ses amitiés d’adolescence, son amour vite rompu avec Louise, la mort dramatique de Mathieu leur ami commun ; « la mémoire est une bête coriace et elle est là, dans son corps. » Malgré un mauvais choix, ces amours demeurent là, presque indemnes ; comme si le bol brisé pouvait être réparé. Daisuke lui en raconte les différentes étapes, « toutes aussi minutieuses les unes que les autres. Un processus long et patient. Coller les bords séparés. Retirer ce qui de la colle est en trop. Poncer. Puis le trait fin de laque. Et la poudre d’or. Entre chaque étape, le patient séchage. » Un fil d’or pour ne pas oublier la brisure !

Et il y a Lucie F. Elle a su reconnaître que c’est Simon qui l’a fait avancer, alors que lui ne le sait pas. Comme Jeanne Benameur l’auteure de ce livre, nous ne savons pas ce que produisent chez les autres nos paroles, nos écrits et nos gestes. Il se peut que nos paroles aident tel ou tel à vivre et nous n’en savons rien. Et c’est bien ainsi. En retour, nous avons le droit de demander de l’aide, d’être vulnérable. Dans la tradition chrétienne, c’est en parlant à d’autres que l’on trouve son chemin et avec lui, la fécondité de nos engagements.

Gérard Marle fc

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

“Vivre ensemble” par Christian Delorme, Philippe Martin

Christian Delorm, prêtre, issu du scoutisme, prêtre du Prado est à mille lieues d’un christianisme nostalgique, peureux, figé, replié.

Vœux perpétuels en Côte d’Ivoire et RDC les 28 et 29 juin 2025 

Gratia Ngisi fc, Christian Basilia fc, Parfait Louhouari fc, Gilles Miakoumoutima fc prononceront des vœux perpétuels en juin 2025 en Côte d’Ivoire et RDC

Formation 2025-2027 ICP : “Diaconie et mission”

Cette formation ICP vise à accompagner les personnes en situation de précarité et à valoriser les richesses des milieux populaires

90 ans de la paroisse Sainte-Hélène à Paris

La paroisse Sainte-Hélène a été érigée en 1934. Participez aux festivités: concert de Gospel et messe présidée par Mgr Laurent Ulrich

La vidéo du pape, prier chaque mois en Eglise

La Vidéo du Pape diffuse les intentions de prière mensuelles du Saint-Père. Nous nous associons à la prière mondiale de l’Eglise.

Vaincre le chômage, un accompagnement autrement ?

Plusieurs catégories d’acteurs publics, privés ou associatifs, contribuent à cet accompagnement avec des objectifs et des pratiques diverses.

Gabriel Bard (1883-1957) : l’infatigable documentaliste et biographe du père Anizan

Ancien ingénieur des Mines, le père Bard entre dans les ordres tardivement. Il se distingue par son rôle de secrétaire de l’Union des Œuvres, de professeur d’histoire et de premier biographe du père Anizan.

Pentecôte, fête de la deuxième chance !

En la fête de la Pentecôte, l’Esprit Saint nous dit qu’il existe une perspective d’avenir. Le Christ vient avec sa paix, il souffle sur eux et leur donne la force de son Esprit.

Sœurs de douleur par Samuel Lieven, Roseline Hamel, Nassera Kermiche

Ce livre raconte l’incroyable amitié de Roseline Hamel, la sœur du père Hamel, à Nassera Kermiche, la mère du terroriste Adel Kermiche.

Premier rallye Anizan dans le quartier de Charonne à Paris

Les jeunes de Grigny et les Fils de Saint-Ouen ont gagné le rallye pédestre Anizan ce 26 avril 2025, dans le quartier de Charonne où a vécu le père Anizan d’octobre 1887 à septembre 1894.

Share This