Pour une justice aux mille visages par Youssef Badr
« Lycéen, je ne m’imagine pas magistrat ni même juriste, raconte Youssef Badr. Je trouve très vite dans le droit une manière d’apporter des solutions à des situations concrètes de la vie quotidienne, à un système parfois injuste auquel répondre de manière efficace et incontestable. » Il dira qu’il aime ce métier parce qu’il aime les gens ; si les avocats plaident, ce sont les juges qui décident.
Surmonter d’innombrables obstacles ainsi que de nombreux préjugés
Youssef Badr est fils de Marocains immigrés en France au début des années 70. Son père est ouvrier du bâtiment et sa mère femme de ménage. Il a dû travailler dur, les études et les petits boulots qui épuisent ; il a dû surmonter d’innombrables obstacles ainsi que de nombreux préjugés pour devenir magistrat.
En 2021, il participera à la création de La Courte Échelle, association de mentorat qui a pour objectif d’apporter assistance, entraide et réseau à celles et ceux qui ne sont ni du sérail, ni du bon côté de l’échelle sociale.
Youssef Badr s’interroge : « Peut-on rendre la justice au nom du peuple français quand on ne lui ressemble pas ? » Juge de la 18e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, il rêve « de voir beaucoup plus d’étudiants issus de milieux modestes, très modestes, accéder au métier de magistrat. » Il précise : « Par mon itinéraire personnel, je capte probablement un peu différemment des moments d’audience, les gestes ou les silences d’une partie. Cela éclaire ma compréhension de ce qui se joue. J’ai pourtant mis du temps à comprendre que cela aussi constituait une ‘culture générale’ au moins aussi utile que la fréquentation des théâtres, des opéras ou des grands auteurs classiques. »
Youssef Badr n’oublie pas ce professeur qui a toujours cru en lui
Pour entrer à ll’École Nationale de la Magistrature, après les examens écrits vient l’épreuve de l’oral ; il y échoue la première fois avec, en prime, « le sentiment d’avoir choisi un chemin d’inconfort, un destin qui n’était pas le mien, plutôt qu’une voie plus ‘simple’ où j’aurais pu exceller. À défaut de me sentir tout à fait légitime, les attentions et les encouragements de mon entourage familial me donne la force d’y croire. » Il sera admis l’année suivante, avec un sens de la répartie qu’il avait déjà au lycée – ce qui lui avait valu d’en être exclu quelques années auparavant. Il n’oublie pas ce professeur qui a toujours cru en lui, qui a pris le temps qu’il fallait quand d’autres, pour préparer le concours d’entrée, pouvaient s’offrir des cours privés.
Youssef Badr accumule des conclusions d’études, les chiffres, les statistiques et quelques récits qui montrent combien l’égalité des chances reste un mythe ; sont concernés certes les jeunes des cités populaires mais aussi les jeunes de la campagne, les enfants d’agriculteurs ou de petits commerçants. Il les décrit comme désorientés à l’école, noyés à l’université, désabusés lors des concours et des premières recherches de travail ; cependant, « nous devons nous appuyer sur le principal outil dont nous disposons, même s’il est infiniment perfectible : notre système éducatif. »
Nous avons tous dans nos relations des hommes et des femmes qui viennent d’ailleurs
J’avais à peine fini de lire que j’étais invité à l’hommage républicain d’une femme morte subitement à l’âge de quarante-cinq ans. Élue maire adjointe dans sa ville et vice-présidente du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Épouse, mère de trois enfants, militante politique, restée attachée aux Comores et à la foi musulmane, manifestement elle faisait l’admiration des responsables politiques qui parlaient d’elle, et de la foule qui était là pour elle et sa famille. Nous avons tous dans nos relations des hommes et des femmes qui viennent d’ailleurs, et que nous admirons. L’émerveillement devant leur itinéraire et la bienveillance qu’ils nous apprennent peuvent guérir nos sociétés malades.
Gérard Marle fc

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