Rupture(s) par Claire Marin
Claire Marin nous montre un avenir possible
Rupture(s) – au singulier et au pluriel. D’emblée le lecteur se prépare à affronter un sujet qui fait inévitablement référence à des blessures et des souffrances, voire des trahisons. Mais l’analyse que la philosophe Claire Marin propose au sujet des nombreuses expériences de ruptures et de discontinuité, inhérentes à chaque existence, nous conduit au-delà de nos réticences et de nos dénis. Elle nous aide à panser certaines de nos blessures, à traverser nos nuits, elle nous montre un avenir possible.
Rupture – au singulier
C’est un arrachement, une déchirure, et pas simplement une séparation où chaque entité retrouve sa forme d’avant. La rupture est déchirure car elle emporte quelque chose de soi et laisse sur soi la trace d’un passé qui peut devenir torture et avec lequel il faut pourtant continuer à avancer.
Ruptures – au pluriel
Car « la vie n’est pas un long fleuve tranquille » ; nos vies, dit l’auteur, sont faites de bifurcations et de lignes droites. « Les ruptures sont nôtres, qu’on les choisisse ou qu’on les subisse. » Elles nous obligent à définir ou à redéfinir notre identité. Elles fragilisent nos représentations, altèrent nos certitudes. Comment les traversons-nous ? Comment nous changent-elles ? Comment faisons-nous face à l’imprévisible ?
« Il y a dans toute rupture l’espoir de se trouver et le risque de se perdre. »
Les ruptures choisies sont peut-être les plus difficiles à comprendre, pour soi et pour les autres. Des choix de vie faits à un certain moment de l’existence peuvent ne plus convenir et devenir carcan dont il faut se séparer pour survivre. Des situations familiales, sociales, professionnelles, peuvent aussi devenir sources de souffrance dont il faut se départir en acceptant le risque d’être incompris. C’est là une nécessité vitale. De telles ruptures demandent du courage car elles sont une mise en jeu de soi. « Il y a dans toute rupture l’espoir de se trouver et le risque de se perdre. »
Rupture amoureuse
Une autre forme de mise en jeu de soi est la rupture amoureuse. « Qu’elle soit décidée ou subie, la rupture interroge ce que nous sommes ou ce que nous croyions être. » Elle est une réelle déchirure, une dévastation intérieure. « Dans cette brusque révolution intime, je ne sais plus qui je suis, je ne sais plus si je suis. » Mais cette expérience peut aussi être le point de départ d’un recommencement : « Il s’agit de voir qui l’on est, ailleurs, et seul. »
Seul, on l’est aussi face à la maladie, quand le corps se dérobe et oblige à se découvrir autre, à réinventer « une création de soi par soi. »
Seul encore, quand la maladie du proche le rend comme absent. A ce point de rupture, il nous appartient de « faire un effort de séparation de ce qui est aujourd’hui de ce qui autrefois fut. »
Et tant d’autres déchirements qui ne nous laissent jamais indemnes. Un discours lénifiant laisse entendre que tout peut se surmonter et que la vie reprendra comme avant. Ce n’est pas vrai, nous ne pouvons qu’en sortir différents ; mais alors, où est l’unité de notre être ? Pour Claire Marin, nous sommes tous des éprouvés à qui il revient d’« explorer chaque fragment de notre identité, chaque côté de notre être, qui aurait plusieurs faces, et qui se donneraient à voir selon les accidents de l’existence. »
Cependant, l’auteur ne le nie pas, il arrive aussi que la rupture ne soit qu’un énorme échec qui reste profondément imprimé dans la mémoire.
Toute rupture porte le risque de se perdre.
Et tout autant celui de se trouver. « La rupture est créatrice si elle se saisit de ce qu’elle brise. » En rompant avec ce qui est mortifère dans notre mémoire, on peut créer une reconfiguration qui fait surgir du neuf, de l’inespéré.
Où le pari de la joie est possible.
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