La collision par Paul Gasnier
Colère née d’un homicide routier
Lyon, 2012, sur les pentes du quartier de la Croix-Rousse une femme qui se rend à vélo au centre de yoga qu’elle vient de créer est violemment percutée par un jeune délinquant multirécidiviste qui fait une roue-arrière à 80 km/h dans ces rues étroites.
Lyon, 2022, campagne présidentielle, Paul Gasnier devenu journaliste couvre un rassemblement de l’extrême-droite. Les discours violents et haineux entendus sont pour lui « la traduction politique d’une colère qui l’habite depuis des années… Colère à induction lente, née d’un homicide routier qui a brisé ma vie quand j’avais vingt et un ans. Cette femme, c’était ma mère. »
La loi du talion qui sommeille en chacun l’a maintenu dans sa colère pendant de longues années. Mais « l’hystérie des débats sur la délinquance et l’immigration » qui agite cette campagne présidentielle et à laquelle il refuse de succomber le conduit à essayer de comprendre « pour ne plus être prisonnier de l’évènement. Ne pas se laisser commander par la rage. » Et, peut-être, essayer de vivre en paix.
Une collision entre deux mondes
« Ce livre est le récit de cette collision qui n’est ni un accident ni un meurtre. Une histoire française du début du XXIe siècle, où deux destins parallèles voués à s’ignorer se sont percutés, dans un pays éclaté et malade. »
Un drame qui n’aurait jamais dû arriver. Et qui, pourtant, ne pouvait pas ne pas arriver. Ce n’est pas un accident, c’est une collision entre deux mondes qui « racontent chacun un morceau de l’histoire du pays, de l’évolution de sa société, des fractures qui la travaillent. »
Saïd, fils d’immigrés marocains, a grandi sur les pentes du quartier de la Croix-Rousse, dans l’ombre de son grand frère Abdel, trafiquant, revendeur de drogue, assassiné peu de temps avant le drame suite à un différend avec d’autres trafiquants du quartier. Saïd semble mettre un acharnement systématique à « bousiller sa vie ». Seule sa soeur, vraie sœur-courage, essaie de sauver l’honneur familial.
Installer une forme de mixité sociale
L’univers de Paul Gasnier, issu d’une famille aisée qui a beaucoup déménagé pour raisons professionnelles, est bien plus vaste et ouvert. La famille s’installe à Lyon, dans ce quartier en pleine gentrification, où la municipalité tente d’installer une forme de mixité pour endiguer les problèmes liés à la drogue et à la violence.
C’est ainsi que sa mère crée son centre de yoga. « Elle s’évertue à faire éclore la douceur là où la violence n’a jamais cédé ses droits. » L’engrenage qui devait conduire à la collision était inexorablement enclenché.
Paul Gasnier a presque le même âge que Saïd ; il cherche à comprendre par quels déterminismes et circonstances leurs parcours ont divergé. Il fait le triste constat d’une faillite collective. « Pourquoi ça n’a pas marché ? » dira l’avocat de Saïd ; « il a grandi tout de traviole à cause des mauvaises fréquentations et de la drogue » ajoute Mounir, l’animateur social qui a « développé un savoir-faire qui tient de l’orfèvrerie humaine ». Le commissaire invoque un système saturé. Et le juge, toujours très marqué par ce drame, évoque une forme de fatalité, due tout à la fois aux manquements de l’école, de la famille, des facteurs sociaux, à un lent ravinement collectif.
Trouver le fragile équilibre
Mais il refuse de se laisser intoxiquer par les ritournelles populistes, la haine et le rejet de l’autre. Se souvenant des postures de yoga enseignées par sa mère, il sait qu’il lui faut chercher le fragile point d’équilibre qui permet de se déposséder du passé pour se relier au moment présent. Au nom de sa mère.
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