Elle aussi avait pris soin de moi

5 Fév 2015 | Chantiers | 0 commentaires

Auteur de l'article : Damien Rouillier
Crédit photos : Jean Guellerin fc

Elle aussi avait pris soin de moi

Damien Rouillier travaille au Secours Catholique à Angers depuis quelques années.

Mon travail en grande proximité avec les réalités de pauvreté

Mon rôle, en tant que salarié, est d’accompagner les équipes de bénévoles dans leurs engagements de terrain. C’est un rôle d’animation qui me situe en retrait de l’action concrète d’accueil, mais en grande proximité néanmoins avec les réalités de pauvreté. A l’approche de Noël, Chantiers m’interroge sur ce à quoi j’attache de l’importance pour que les « petits » se sentent plus considérés et pacifiés, sur le sens de mon engagement.

Le premier point qui me paraît important, quand on évoque la considération et la paix, est d’être en capacité de recevoir des plus pauvres. Trois faits m’ont marqué récemment à ce sujet. Avec mon épouse, nous cheminons depuis trois ans avec une Philippine, son compagnon, et leurs deux enfants. Nous l’avons connue arrivant en France, malade, dormant à la rue avec ses filles, puis hébergée par le 115, et maintenant par un autre dispositif. Ils disposent de très maigres ressources, vivent grâce à la distribution alimentaire. A chaque fois que nous allons les voir, elle nous prépare un colis : des aliments qu’ils ne mangent pas, ou présents en trop grande quantité dans ce qu’on leur donne. Cela me fait bizarre de revenir à la maison avec un colis de la banque alimentaire, mais je vois bien comme c’est important pour eux de pouvoir offrir.

« J’avais besoin de donner pour vivre »

Fleur

Une femme sans papier en témoignait en juin dernier à Lourdes : elle expliquait ainsi son engagement dans l’équipe Secours Catholique de Colombes : « j’étais en grande difficulté, mais j’avais besoin de donner pour vivre ».

Le dernier fait concerne une bénévole, dont la santé est fragile, qui vient régulièrement à la délégation réaliser des travaux de petites mains. Elle rentre un jour dans mon bureau, et me demande au cours de la conversation si elle peut arroser la plante qui s’y trouve. Je lui dis que cela me ferait plaisir, parce que j’oublie souvent de m’en occuper. La semaine d’après, je découvre un petit mot de sa part sur mon bureau : « j’ai arrosé ta plante. Elle avait bien besoin. » Cette attention m’a beaucoup touché, comme si, en faisant cela, elle avait aussi pris soin de moi. Ce premier point est si important qu’il a été inscrit au cœur du message final de Diaconia : « personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager ».

Cet accueil de la faiblesse est libérant

En miroir, je crois qu’il est essentiel aussi d’accueillir notre propre faiblesse, de reconnaître que nous sommes dépourvus face à la pauvreté, pas en mesure d’y faire face et qu’elle nous dépasse de toute part. Cet accueil de la faiblesse est libérant : il nous prévient du découragement, et nous autorise à faire. Certes à faire petit, mais à faire avec soin et passion. Nous avons par exemple développé autour d’Angers, depuis plusieurs années, 4 lieux d’accueil de personnes sans abri. Dans chaque lieu, une équipe de bénévoles accueille une personne pour trois nuits. Nous n’avons pas la prétention de résoudre le problème d’hébergement sur Angers (les besoins sont énormes et il est courant que des familles avec enfants dorment dans la rue, sans parler des hommes seuls), mais nous y prenons part et les conditions d’accueil que nous offrons sont dignes : le temps de leur passage, les personnes sont seules dans le local, en sécurité ; elles en ont la clé, et ont charge de rendre le local propre ; elles sont accueillies, et peuvent échanger avec les bénévoles si elles le souhaitent. Je crois que c’est cet ensemble qui permet de considérer et de pacifier : une attention à la personne, une tendresse envers elle qui s’exprime par la discrétion, la qualité d’accueil, la simplicité.

Batisseurs d'humanité

Une équipe qui prend soin des autres

L’autre point auquel je suis attentif dans ma responsabilité est la qualité de la vie d’équipe. Je parle là d’un climat de respect mutuel, d’admiration partagée, construits dans l’action et le partage, et qui donne le « la » en quelque sorte, ou dessine le décor, l’arrière plan. Un petit événement m’a marqué ces dernières semaines. En partant à une réunion, avec un peu de retard, je croise un bénévole dans le couloir. Sa mine est défaite, et je vois bien, avant même de lui avoir adressé la parole, qu’il n’est pas en grande forme. Aux salutations d’usage, il confirme cette impression. Je n’ai pas le temps de m’arrêter plus avant, mais échange quelques mots à son sujet avec la secrétaire. Bien sûr, elle aussi a saisi qu’il est mal, et cherche, au milieu de ses occupations et des allers venues dans son bureau, à s’en extraire pour lui parler. Je pars soulagé de ce très bref dialogue avec elle. Je prends la mesure de ce que peut signifier une équipe qui prend soin les uns des autres.

Entrer dans le débat public

En même temps que nous agissons sur le terrain, par des actions ciblées, qui se vivent d’abord sous l’angle de la rencontre, si possible de la réciprocité, il nous faut coupler cet engagement avec une pensée et une parole politique. En effet, les liens tissés avec les personnes en situation de pauvreté nous emmènent à entrer avec elles dans le débat public. Cette posture n’est pas d’abord idéologique : elle est affaire de fidélité et de vérité, et conduit sur les chemins étroits de la justice. Ce point est tout à fait central pour moi, et je considère aujourd’hui le défaut de cette dimension comme une quasi trahison des plus pauvres. Il y a quelques semaines, je témoignais avec des croyants d’autres religions sur les sources de notre engagement. Quand j’ai évoqué le combat mené aujourd’hui par plusieurs associations contre les paradis fiscaux, l’un des participants a réagi vivement, en disant que cela ne relevait pas de la lutte contre la pauvreté. Mais on ne peut rester sans voix, ou en posture de neutralité, devant ces sortes de trous noirs qui aspirent des sommes colossales, et organisent leur dissimulation au regard du contrôle des états. Or, dans un état de droit, la première des solidarités est de payer ses impôts !

Dans la pratique, l’expression de cet engagement politique est partenariale et très variée : dialogue avec des élus, rencontre de parlementaires sur des projets de loi, interpellation du Conseil Général sur un appel à projet qui nous paraît non conforme au droit, événement public pour dénoncer des conditions de mise à l’abri, recours contre une décision préfectorale infondée en droit… Ces démarches sont l’expression d’une vie associative riche où s’élabore, en prolongement de l’action, avec les personnes elles-mêmes, avec les partenaires associatifs, une parole qui cherche à exister et à transformer la société. Elles sont laborieuses, peu visibles, guère révolutionnaires dans leur nature, mais elles sont essentielles, parce qu’elles permettent de quitter une posture qui pourrait être de gestion de la pauvreté, pour entrer dans une logique de lutte contre la pauvreté.Enfants

Bref, le sens profond de mon engagement est d’essayer de préparer des espaces pour une rencontre qui puisse être chemin de vie pour les bénévoles et les personnes en situation de pauvreté, et qui soit source de transformation pour la société.

Damien Rouiller

 

Extrait de Chantiers n°184 – décembre 2014 – “Fichez-moi la paix!”

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