Ajouter de la vie aux jours par Anne-Dauphine Julliand
“J’écris le lien. J’écris ce qui nous maintient. J’écris la vie” écrit Anne-Dauphine Julliand
« J’ai déjà tout raconté, tout écrit. J’aurais dû m’arrêter là, garder pour moi ce qu’il nous restait à vivre. Mais Gaspard est mort. La veille de ses vingt ans.
Il n’y a rien à écrire. Et pourtant, j’écris. Parce que je suis en vie. Pour ceux qui sont en vie. J’écris, au nom de tous les miens. Ceux Là-Haut et ceux ici-bas. J’écris le lien. J’écris ce qui nous maintient. J’écris la vie. »
Chercher à comprendre comment la vie peut continuer ?
Après avoir perdu ses deux filles de maladie orpheline puis son fils aîné qui a mis fin à ses jours 15 ans plus tard, l’auteure Anne-Dauphine Julliand cherche à comprendre comment la vie peut continuer, la sienne, celle de son époux et de leur fils Arthur. Avec délicatesse et humanité elle livre au lecteur des instantanés du quotidien où se mêlent tempêtes intérieures et étincelles de lumière comme autant de pépites pour ajouter de la vie aux jours, et de l’amour.
Vivre « rien que pour aujourd’hui »
Chaque matin puiser dans la confiance enfouie au plus profond, fuir tous les « si » qui font du mal et se dire « Allez, on y va ! »
Répondre par un sourire, même un peu triste, à cette toute jeune ado qui lui sourit sans oser lui parler parce qu’elle a peur de ne plus jamais la voir sourire. Un sourire qui la ramène à la vie. « Je cueille son sourire et j’accueille le mien… La possibilité du bonheur. Tout petit, minuscule. Mais entier. Donc immense. Invincible. »
Mordre à pleines dents dans la croûte craquante
Oser enfin entrer dans la boulangerie après l’avoir fuie si longtemps, car elle lui rappelait trop Gaspard, petit enfant, revenant pour la première fois tout seul après avoir largement entamé le pain croustillant. Jusqu’à ce qu’elle voie ce petit enfant faire comme Gaspard et mordre à pleines dents dans la croûte craquante. « L’instinct des petits bonheurs l’emporte, les joies simples se transmettent… Soulagée que la vie n’ait pas fui. »
Danser en pyjama alors que le bruit joyeux de la fête des voisins lui est insupportable, se laisser entraîner par l’invitation de son mari à danser sur la musique qui emplit le soir. D’abord sans conviction puis avec la joie simple, pour ce soir, de se sentir comme des invités de la fête.
Garder la mémoire des sentiments alors qu’elle voudrait tout oublier. C’est ce que lui inspire l’histoire de ce petit-fils avec sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Pour maintenir le lien et entretenir sa mémoire il l’interroge sur son passé, le jour de son mariage, le temps qu’il faisait. Puis, quand elle ne sait plus répondre, il l’interroge sur ce qu’elle a ressenti quand elle a mis sa robe de mariée. Alors « son œil pétille d’une lueur qui perce la voile triste » et elle revit ses sentiments « restés à l’abri du temps, enfouis dans la mémoire de son cœur. » Elle a retrouvé son sourire de jeune fille. Les souvenirs peuvent disparaître, mais les sentiments, l’amour, ne peuvent s’oublier.
Vivre la joie et pouvoir pleurer dans le noir
« Autoriser la peine à habiter le cœur et les pensées, sans tout coloniser. Vivre la joie et pouvoir pleurer dans le noir. » Avoir cette confiance-là. Parler à haute voix avec ceux qui ne sont plus là où ils étaient, comme entrer en discussion avec eux. Tutoyer les étoiles et leur parler les nuits d’insomnie. Tout cela Anne-Dauphine Julliand le vit. Mais quand elle domine sa peur pour plonger avec Arthur, elle comprend que c’est pour lui qu’elle doit vivre, elle qui avançait à reculons, les yeux rivés vers ses morts. Vivre avec les vivants, pour les vivants, pour ajouter de la vie aux jours d’Arthur, lui donner des ailes et oser lui dire « le printemps dans la voix ‘Je suis là’. Va, vis et deviens. »
Admirable moisson de pépites qui inspirent au lecteur le sourire à la vie de cette jeune ado, et au croyant la foi en Celui qui est la Vie. On lit dans la Bible (Dt 30) : « Choisis donc la vie ».
Marie-Christine
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