La fureur et l’extase par Laurent Larcher
Ce grand reporter de guerre pour La Croix, Laurent Larcher a couvert bien des conflits, Mali, Côte d’Ivoire, Burundi, Kivu, Rwanda, Soudan, et même les Balkans. À combien de massacres, de violences sauvages a-t-il assisté, que l’instinct d’aucun animal sauvage n’aurait pu créer.
Laurent Larcher, grand reporter de guerre: “Il y a un “tueur” en nous !”
« Mais c’est l’Afrique ! » dit-on parfois. Laurent Larcher n’accepte pas ce mépris post-colonial ; il renvoie son lecteur à l’histoire passée et récente. Tant de massacres. À la Saint Barthélémy ou contre les Indiens, dans les camps de concentration, plus récemment au Cambodge, dans les Balkans ou en Irak, et au Moyen-Orient. Ces exterminateurs n’étaient pas des monstres, ni des sauvages, mais des hommes et des femmes comme nous ! “Il y a un “tueur” en nous ! Oui, c’est vous et moi.”
C’est sur ce constat que Laurent Larcher décide à son retour du Rwanda de partir en Centrafrique pour se “lancer sur les ‘traces du tueur’ en l’homme. Le mettre en lumière et me mesurer à lui, m’y confronter, le débusquer. J’entrais en guerre en quelque sorte contre un nouvel ennemi : ‘le tueur en nous’.”
Par de courts récits nous le suivons en des lieux aussi divers que des barrages tenus par des groupes armés, des camps de réfugiés et autres camps militaires, évêchés, mosquées, missions, centres de santé, hôtels de journalistes.
Émergent des visages de femmes, enfants, hommes aux parcours improbables tenaillés entre faim, peur, haine, vengeance, mais aussi désir de paix, de réconciliation, de vie nouvelle. L’humain dans toute sa complexité.
La guerre ne finit jamais son œuvre de destruction, elle vous dévore de l’intérieur
Il n’en sort pas indemne : “La guerre m’a pénétré au plus intime de moi-même et même au-delà. Si elle m’a épargné physiquement, la voici dans mon corps, dans ma tête, dans mon coeur, dans mes veines ; elle a infecté mon âme, empoisonné mon espérance, contaminé mes joies, souillé ma légèreté, épuisé ma sensibilité. Elle m’assèche peu à peu. Et m’isole du monde, de mes proches, des miens, avant de me réduire à presque rien. La guerre ne finit jamais son œuvre de destruction, elle vous dévore de l’intérieur, vous consume lentement.
Oui, je suis habité par elle. La guerre n’est pas la destruction, elle est la passion de la destruction, le jaillissement de la ferveur qui écrase, élimine, éradique l’autre, les autres, tous les autres.
Rire de tuer, rire en tuant, prendre du plaisir à tuer, prendre son plaisir en tuant, le faire en groupe, le faire en se filmant, en filmant la mise à mort, la destruction et l’anéantissement de l’autre, diffuser ces images, s’en gaver, les partager, les faire circuler, en redemander. Téléphones portables, rien de plus banal, de plus commun, de plus facile et de plus disponible.
Et pourtant, j’y ai aussi rencontré l’amitié, la fraternité, l’amour le plus puissant que l’on peut éprouver pour un autre, d’autres. J’y ai ressenti la vie dans ce qu’elle a de plus essentiel et de plus intense, une présence au monde pleine, entière, éclatante. »
Les plus belles du monde se trouvent parmi ceux qui ont traversé la nuit
Ce “tueur en nous” est si proche, prêt à émerger au ressenti des paroles d’exclusion et de haine éructées par les hommes et femmes politiques qui refusent d’assumer leur responsabilité. Immatures, ils jouent à créer la peur. Ils attisent des sentiments génocidaires prêts à grossir et à tout emporter, réduisant à néant l’équilibre si précaire de notre civilisation bâtie sur la démocratie, c’est-à-dire le respect de l’autre différent. N’est-ce pas déjà le but de ces autocrates qui se veulent créateurs de nouveaux empires ?
Mais comme l’exprime aussi Laurent Larcher : “Je n’ai jamais vu autant de belles personnes, les plus belles du monde se trouvent parmi ceux qui ont traversé la nuit.”
Éric Récopé fc
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