Une nuit au cap de la Chèvre par François Cheng
Méditation poétique et philosophique de François Cheng
« Poète serviteur des mots », François Cheng livre au lecteur une méditation à la fois poétique et philosophique sur l’univers, la vie et la mort. Et son propre destin. Chaque mot choisi avec soin, chaque phrase ciselée au plus juste, chaque poème, traduisent avec intensité l’expérience de cette nuit au cap de la Chèvre.
L’être humain possède le pouvoir le privilège de voir, de savoir et de dire
C’est là, tout au bout de la presqu’île de Crozon, que l’auteur, François Cheng, est venu rechercher calme et solitude. Mais dès sa première nuit, réveillé par le fracas des vagues, c’est une épaisse et effrayante solitude qui l’enserre, jusqu’à ce que la frayeur mortifère laisse place à une sensation de bercement quasi enivrante. L’auteur prend conscience que le mouvement des marées ne fait qu’obéir aux lois qui régissent l’équilibre de l’univers, lois qui ont permis à la vie d’advenir et d’engendrer les humains, « des êtres fragiles entre tous, mais qui possèdent le privilège de voir, de savoir et de dire ».
L’univers, la vie et la mort
Privilège qui devient pour lui « urgence de dire ce qu’il y a de spécifique dans le fait d’être un humain afin que le sens et la dignité de sa destinée soient, si possible, affirmés. »
Être des « répondants » doués d’une âme et d’un esprit pour donner sens à la création. Dire que la beauté du monde ne prend sens que lorsqu’elle est appréhendée et intériorisée par une âme humaine. Dire que c’est la mort qui fait que la Vie est vie et qui pousse à l’urgence de « vivre, en vue d’une forme d’accomplissement ou de sublimes dépassements. »
Le lien entre l’ordre humain et l’ordre divin
En ce point de l’Extrême-Occident du continent eurasiatique François Cheng, qui vient de l’Extrême-Orient, relit son chemin et sa destinée, reliant deux cultures dont le défi de sa vie aura été de les assimiler et de les malaxer jusqu’à devenir une en lui.
Très jeune, voyant le fleuve Jaune s’écouler sans se tarir, il comprend que « rien ne se perd, tout se féconde »; la vie de l’Être tient dans ces deux dimensions, horizontale et verticale, dans le lien entre l’ordre humain et l’ordre divin : « Les vies sur terre ne sont pas des poignées de sable jetées au vent. » A cette même époque aussi, il est à jamais meurtri par le mal.
Mais au sein de l’humanité, Quelqu’un a tenu les deux bouts de la vérité, le Christ a vaincu la Mal par l’Amour absolu et a ouvert la Voie de la Vie. A sa suite, chaque être a le devoir d’assurer la marche de la vie, comme l’affirmait déjà la prédiction du Tao : « Celui qui cède à l’amour en se donnant au monde, à celui-là sera confié le monde. »
« Chante, et tu seras sauvé, et tout sera sauvé. »
C’est la poésie qui le sauve de la désespérance, c’est en elle qu’il trouve sa réponse à l’urgence de vivre.
Le poète n’en doute pas, « le Créateur sait gré aux humains de prendre en charge les épreuves que comporte l’aventure de la Vie. »
Mais pour remplir sa mission la poésie ne peut se limiter à ce côté-ci de la vie car, comme le proclament saint Jean « Au commencement était le Verbe » et le Tao « Au commencement était la Voie/voix », le verbe humain dérive du Verbe divin.
Pour François Cheng, le chant humain remplit sa mission quand il « transcende la finitude qui marque la vie de chacun, la transmuant en un devenir ouvert. »
Oui, la terre est une vallée où poussent les âmes,
Et toutes les âmes aimantes sont aimantantes.
Ce qui est lié sur terre ne se délie pas aux Cieux,
Dans l’immarcescible espace constellé du Coeur.
Le « devenir ouvert » du poète est celui que le chrétien nomme Résurrection.
Vraie Lumière,
Celle qui jaillit de la Nuit ;
Et vraie Nuit,
Celle d’où jaillit la Lumière.
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